Nature de l’eau dans la Grèce antique
Quelle est donc la vraie nature de l’eau ? Je résume ici la saga de cette incroyable histoire. Car, chaque idée novatrice pour son époque concernant l’eau se trouve irrémédiablement anéantie un peu plus tard. Ceci, afin de laisser place à une idée condamnée à disparaître à son tour. Ainsi, le philosophe grec Thalès (624-525 av. J.-C.) est le fondateur de l’école de Milet. Pour lui, l’élément premier permanent est l’eau. Cet élément constitue toutes choses et assure tout type de transformation. Son disciple Anaximandre de Milet (610-546 av. J.-C.) trouva que l’eau était un corps beaucoup trop grossier pour jouer le rôle de substance primordiale. Il torpilla donc la théorie de Thalès en affirmant que la cause matérielle et l’élément premier de la nature était l’apeiron. En gros, il s’agit d’une chose infinie et illimitée de laquelle procèdent tous les cieux et les mondes.
Anaximène de Milet (585-525 av. J.-C.) aura beaucoup de mal à concevoir concrètement un tel infini. Il torpilla donc à son tour la théorie de son concitoyen. Il préféra pour cela mettre l’élément air au centre de sa philosophie. Car l’air apparaît illimité comme l’apeiron. Tout en étant de nature beaucoup plus subtile que l’eau de Thalès. Héraclite d’Éphèse (544-480 av. J.-C.), dit «l’obscur », désintégra pour sa part toutes les théories en provenance de l’école de Milet. Pour lui, c’était plutôt le feu qui était le principe de toutes choses. Car, en lui résidait la réalité du mouvement, élément apte à produire l’état premier et dernier du cosmos à travers ses cycles. Pour Anaxagore de Clazomènes (500-428 av. J.-C.), il était parfaitement ridicule de prétendre qu’il y avait un élément primordial. Il émit donc l’idée qu’il y avait un nombre infini d’éléments premiers qualitativement différents. Anaxagore évoque donc les homœméries ou atomes soumis au chaos jusqu’à l’apparition de l’esprit, le Noūs, qui mit tout en ordre.
L’eau et les quatre éléments
Puis vint Empédocle d’Agrigente (490-435 av. J.-C.) qui fit table rase de toutes ces balivernes. Il plaça ainsi la terre au même rang que l’eau, l’air ou le feu. Puis, il décréta que les forces de l’amour et de la haine animaient ces quatre éléments. C’étaient eux les principes premiers composant toutes choses. Les choses concrètes naissent ainsi par l’amour qui rapproche les quatre éléments. Puis, elles sont détruites par la haine qui les sépare. Platon (427-346 av. J.-C.) mathématisa pour sa part la théorie des quatre éléments d’Empédocle en associant le feu au tétraèdre, l’air à l’octaèdre, la terre au cube, l’eau à l’icosaèdre. Comme le montre l’image ci-dessous, il réserva le dodécaèdre comme symbole de l’apeiron d’Anaximandre.
La théorie des quatre éléments matériels plus un cinquième soigneusement caché (la quintessence) passa donc à la postérité. Elle devint le paradigme scientifique pour de nombreuses générations via les écrits d’Aristote (384-322 av. J.-C.).
L’eau et la révolution française
Il fallut alors attendre près de 2200 ans pour qu’un chimiste français Antoine Laurent de Lavoisier (1743-1794) ose prétendre que le grand Aristote avait tort. Lavoisier désintégra l’idée que l’eau était un élément indécomposable en éléments plus simples. Lavoisier s’inspira ides travaux de ses compatriotes Pierre Joseph Macquer et Sigaud de La Fond (voir figure ci-dessus). Il s’appuie sur ses propres expériences pour affirmer que l’eau était composée d’hydrogène et d’oxygène. Elle ne pouvait donc pas prétendre au statut d’élément. Il attaqua aussi la théorie du phlogistique très en vogue à l’époque pour expliquer les phénomènes de combustion.La figure ci-dessous résume la situation :
Lavoisier se distingue ainsi des chimistes britanniques Joseph Priestley, James Watt et Henry Cavendish. Ces derniers feront les mêmes observations que lui, mais commettront tous l’erreur fatale d’interpréter leurs résultats à la lumière de la théorie du phlogistique.
L’eau OH ou H2O ?
Le coup fatal à Aristote est en fait porté en 1801 par les chimistes britanniques William Nicholson et Anthony Carlisle. Ces derniers décomposent l’eau directement en deux volumes d’hydrogène pour un volume d’oxygène. Ils utilisèrent pour cela à une pile électrique inventée en 1800 par le physicien italien Alessandro Volta (1745-1827).
Commence alors une violente controverse entre atomistes qui raisonnent en volume et écrivent l’eau sous la forme H2O. Car, les équivalentistes eux raisonnent en masse et écrivent donc l’eau sous la forme OH. Le débat sera définitivement tranché en 1908 par le physicien français Jean Perrin, prix Nobel de physique en 1926. Il sera aussi le créateur en 1939 du Centre National de la Recherche scientifique ou CNRS. Perrin montre que le nombre d’Avogadro, constante fondamentale de la théorie atomique, peut être mesuré de 13 manières différentes. Ceci établit de manière certaine et indiscutable l’existence des atomes. La formule de l’eau doit donc bien être écrite H2O.
L’eau et la physique quantique corpusculaire
Aristote meurt donc une deuxième fois en 1908. Car, ce philosophe comme les équivalentistes du dix-neuvième siècle niait lui aussi l’existence des atomes. L’achèvement de la physique quantique corpusculaire du physicien allemand Werner Heisenberg et du physicien autrichien Erwin Schrödinger date de 1926. Elle permet de comprendre que chaque atome d’hydrogène se trouve lié de manière covalente à l’atome d’oxygène central. Ceci explique la forme en V très caractéristique de la molécule, ainsi que son apparence en tête de Mickey.
Depuis un peu plus d’un siècle la formule H2O semble donc incontournable. Tout comme semblait incontournable la théorie d’Aristote avant le dix-huitième siècle. Aujourd’hui, en 2021 il est temps de révéler que cette formule H2O fait énormément de tort à l’eau. Elle nous empêche de prendre conscience de sa véritable nature. En effet, depuis 1926 la science se complait à interpréter les propriétés de cette substance dans le cadre de la physique quantique corpusculaire, physique qui sépare les choses en deux catégories bien distinctes : matière (traitée de manière quantique) et rayonnement (traité de manière classique via les équations de Maxwell). Le problème de la physique quantique corpusculaire, c’est qu’elle est myope et à très courte portée, ce qui emprisonne l’eau dans son habit du dix-huitième siècle : H2O.
L’eau et la physique quantique des champs
Or, dès 1927, le physicien britannique Paul Dirac et le physicien allemand Pascual Jordan (1902-1980) vont réussir à quantifier le champ électromagnétique. Cela donne naissance à la théorie quantique des champs. Ici, matière et rayonnement ne sont que des excitations d’un champ unique réservoir infini d’énergie qui remplit le vide. Dans ce cadre unifié l’apeiron d’Anaximandre (vide), réalise l’union du feu d’Héraclite (lumière) avec l’eau de Thalès.
Cela révèle la véritable nature de la liaison hydrogène, qui force les molécules d’eau à se regrouper entre elles dans l’eau liquide ou solide. Il faut donc briser cette image vieillotte et réductrice de la formule H2O. La véritable nature de l’eau est d’avoir des domaines de cohérence impliquant un réseau fluctuant de liaison hydrogène. Il devient alors possible de stocker et de lire des informations de manière dynamique sur l’eau. Le rêveur doit s’arracher à la matrice H2O qui alimente son rêve inutile et stérile. Tout comme il a fallu se réveiller après 2200 ans de sommeil alimenté par l’élément eau. Il faut faire aujourd’hui de même avec la formule H2O qui vit ses derniers jours. C’est tout simplement, comme le disait si bien Lucrèce, dans la nature des choses…
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