Cohérence ortho/para

Cohérence ortho/para

Spectroscopie à quatre photons

L’étude des mouvements moléculaires de basse fréquence dans les liquides ne peut pas se faire via les spectroscopies classiques. Car, pour la spectroscopie infrarouge ou la diffusion Raman, il existe des difficultés expérimentales considérables dans la zone 1-100 cm-1. Ces problèmes peuvent être résolus par la spectroscopie de diffusion Rayleigh non résonante à quatre photons. Ceci permet d’augmenter considérablement le rapport signal/bruit dû aux mouvements cohérents en phase dans un volume macroscopique. La spectroscopie à quatre photons se base sur le mélange de deux fréquences lasers ω1 et ω2. On peut donc balayer en fréquence dans la gamme (ω1 – ω2) dans les ailes du pic central de diffusion. On mesure ainsi l’état de polarisation de la radiation de fréquence ωS = ω1 – (ω1 – ω2) dont l’origine est liée au tenseur de rang 4 de susceptibilité cubique du milieu :

P_{i}^{(3)}=6\cdot \chi _{ijkl}^{(3)}(\omega _S, \omega _1,\omega _2-\omega _1)\cdot E_{j}^{(1)}\cdot E_{k}^{(2)}\cdot E_{l}^{(1)}

Cette susceptibilité cubique est en effet proportionnelle à la fonction de corrélation de l’anisotropie optique. Ici, E(1) et E(2) sont les amplitudes des champs qui interagissent. La variable IS est l’intensité du signal mesuré, donnée par :

I_{S}\propto | chi ^{(3)} |^{2}\cdot I_{1}^{2}\cdot I_{2}^{2}

Les champs lasers peuvent agir de manière cohérente avec l’ensemble des molécules. On contrôle ainsi la phase de leurs mouvements de translation, de rotation et de vibration dans le volume où les faisceaux laser de fréquence ω1 et ω2 se recouvrent. Cette technique a ainsi permis d’enregistrer le spectre des librations cohérentes des molécules d’eau dans la gamme 0-50 cm-1. Ce spectre coïncide parfaitement avec le spectre de rotation des molécules d’eau isolées en phase gazeuse.

Eau “ortho” et “para”

Or l’un des problèmes de base de la physique de l’eau liquide est de comprendre comment se comportent les liaisons hydrogène d’un milieu aqueux. Car, ici il y a des molécules où il y a alignement entre les spins nucléaires de deux protons (eau “ortho”). On trouve également des molécules avec alignement anti-parallèles de ces mêmes spins nucléaires (eau “para). Dans des conditions d’équilibre en phase vapeur, les isomères ortho- et para- sont en rapports 3:1. Ils présentent aussi des spectres de rotation différents. Ces deux isomères sont donc très facilement identifiables en phase vapeur.

Or, par passage de la vapeur d’eau dans un milieu poreux possédant une structure rugueuse on peut avoir un enrichissement en isomère ortho dans la vapeur. Dans ce but, on peut aussi utiliser des surfaces organiques (ADN, lysozyme, collagène). Un tel enrichissement peut s’expliquer par le fait que l’isomère “ortho” possède une énergie de point-zéro. Cet isomère est donc plus mobile que l’isomère “para” qui n’a pas d’énergie de point-zéro. Ceci fait que l’eau “para” se caractérise par une capacité plus grande à former des complexes moléculaires.

État liquide

Si la situation est donc claire en phase vapeur, il n’en va pas de même à l’état liquide. Ici, la pertinence de distinguer entre les deux isomères se brouille. Car il peut y avoir inter conversion des deux isomères, en raison de la proximité spatiale des molécules. De fait, la vapeur d’eau se caractérise par un fort doublet à 79,8 cm-1 pour l’isomère “para” et 88,1 cm-1 pour l’isomère “ortho”. Ce doublet est nettement plus intense que les autres raies. Toutefois, il se trouve dans une zone spectrale très difficile d’accès pour les spectroscopies ordinaires. La figure ci-dessous montre le spectre 4-photons d’une eau liquide Milli-Q dans la gamme 0-100 cm-1 avec en encart un zoom sur la zone 73-91 cm-1.

On y retrouve bien le fort doublet ortho/para. La résonance à 79,8 cm-1 correspond ainsi à la transition <3,1,3|4,0,4> due à l’isomère “para”. La résonance à 88,1 cm-1 correspond quant à elle à la transition <3,0,3|4,1,4> due à l’isomère “ortho”. Les nombres quantiques associés aux états rotationnels autorisés par la physique quantique sont ici notés |J, Ka, Kc>. Le symbole |…> fait référence à un état quantique au sens de Dirac. Enfin, le bracket <final|initial> représente un saut quantique depuis l’état |initial> vers l’état <final|. Les autres résonances d’intensité beaucoup plus faibles peuvent être attribuées aux transitions rotationnelles du niveau fondamental :

Eau “ortho”

\bar{\nu }\langle 5,1,4\mid 5,0,5 \rangle=74,1 cm^{-1}\\\bar{\nu }\langle 7,2,5\mid 7,1,6\rangle=78,2 cm^{-1}\\\bar{\nu }\langle 4,1,4\mid 3,0,3\rangle=88,1 cm^{-1}

Eau “para”

\bar{\nu }\langle 4,0,4\mid 3,1,3\rangle=79,8 cm^{-1}\\\bar{\nu }\langle 9,4,6\ 8,5,3\rangle=85,0 cm^{-1}\\\bar{\nu }\langle 12,7,5\mid 11,8,4\rangle=90,8 cm^{-1}

La figure suivante compare les spectres 4-photons de la protéase α-chymotrypsine et de l’eau liquide Milli-Q dans la gamme 73-91 cm-1.

Pour pouvoir comparer les deux spectres il a fallu multiplier par 8 le spectre de l’eau. Les résonances rotationnelles des isomères “ortho” et “para” sont indiquées par des flèches fines (ortho) ou fortes (para). Les transitions suivantes de l’eau “ortho” peuvent être identifiés dans ce spectre :

Eau “ortho”

\bar{\nu }\langle 3,0,3\mid 3,2,1\rangle=73,3 cm^{-1}\\\bar{\nu }\langle 5,1,4\mid 5,0,5\rangle=74,1 cm^{-1}\\\bar{\nu }\langle 9,4,5\mid 9,3,6\rangle=77,3 cm^{-1}\\\bar{\nu }\langle 9,3,6\mid 9,2,7\rangle=81,0 cm^{-1}\\\bar{\nu }\langle 4,3,2\mid 4,2,3\rangle=82,2 cm^{-1}\\\bar{\nu }\langle 10,4,7\mid 9,5,4\rangle=83,5 cm^{-1}\\\bar{\nu }\langle 7,3,4\mid 7,2,5\rangle=85,6 cm^{-1}\\\bar{\nu }\langle 4,2,3\mid 4,1,4\rangle=86,4 cm^{-1}\\\bar{\nu }\langle 4,1,4\mid 3,0,3\rangle=88,1 cm^{-1}

On remarque aussi que la raie à 88,1 cm-1 est dominante dans les deux spectres. D’autre part la raie suivante, attribuable à l’isomère “para”, est quasiment invisible :

\bar{\nu }\langle 4,0,4\mid 3,1,3\rangle=79,8 cm^{-1}

En conséquence, il y a adsorption préférentielle de l’isomère “para” aussi bien en phase gazeuse qu’en phase liquide. On notera que le même type d’observation s’applique également à des mélanges H2O/H2O2.

Références

A.F. Bunkin, S.M. Pershin, and A.A. Nurmatov, «Four-photon spectroscopy of ortho/para spin-isomer H2O molecule in liquid water in sub-millimeter range», Laser Phys. Lett., 3, (2006) 275–277.
A.F. Bunkin, S.I. Lebedenko, A.A. Nurmatov, S.M. Pershin, «Four-photon Rayleigh-wing spectroscopy of the aqueous solution of a-chymotrypsin protein’, Quantum Electronics, 36 (2006) 612-615.

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