Radioactivité et armes à feu
Le commun des mortels est très souvent complètement perdu dans la jungle des unités utilisées en radioactivité. Entre les becquerels, les curies, les rads, les grays, les sieverts ou les rems, il faut avouer qu’il y a de quoi y perdre son latin. Plutôt que de chercher à tout apprendre par cœur, le mieux est d’avoir une image mentale claire du processus de radioactivité. Pour cela il suffit d’imaginer que toute source radioactive se comporte comme une arme à feu.
Qu’est ce qui sort d’une arme à feu ? Des balles. Est-ce que l’on meurt systématiquement parce qu’une arme tire des balles ? Bien sûr que non. Pour mourir, il faut recevoir une balle dans le corps. Car, si les balles passent à côté ou si l’on a un pare-balle on ne risque rien. Même si l’on se trouve près de quelque chose qui peut vous tuer. Ceci nous montre qu’en matière de radioactivité une seule unité ne peut suffire, il en faut au moins 2.
Becquerels et Curies
La première unité doit quantifier l’activité de l’arme. C’est-à-dire le nombre de balles que tire l’arme par unité de temps. Car bien évidemment, la probabilité de recevoir une balle augmente fortement avec le débit de l’arme. Dans le système international l’activité d’une source radioactive se mesure en Becquerels (symbole Bq). Avoir une source qui a une activité de 1 Bq signifie qu’elle subit une désintégration radioactive par seconde. Ceci quelle que soit la nature de l’élément radioactif et quel que soit le type rayonnement émis.
Le problème du Becquerel, c’est qu’il s’agit d’une unité atomique qui ne correspond pas à notre échelle macroscopique. C’est pourquoi lorsque le phénomène de radioactivité a été découvert vers la fin du XIXᵉ siècle, on utilisait une unité beaucoup plus pratique. Cette unité adaptée à notre échelle macroscopique était le Curie (symbole Ci). Depuis, l’avènement du système international, dit SI, et des préfixes multiplicatifs, cela ne pose plus de problème. On ne doit plus utiliser le Curie et appliquer la conversion suivante 1 Ci = 37 GBq.
Radioactivité naturelle
La principale source naturelle de radioactivité dans notre environnement provient des roches. Ces roches contiennent principalement les isotopes 40K, 232Th et 238U ainsi que leurs multiples descendants radioactifs [1]. La chaleur émise par ces désintégrations vaut 1,25 mW·at-1 pour 40K, 14 mW·at-1 pour 232Th et 9,8 mW·at-1 pour 238U. Par conséquent, sous la croûte terrestre les roches peuvent entrer en fusion sous l’effet de la chaleur dégagée. Ceci provoque le phénomène de tectonique des plaques.
Or, les liquides métalliques (Fe, Ni) ne sont pas miscibles avec les liquides magmatiques. Ils sont nettement plus denses et se rassemblent donc au centre de la Terre sous la forme d’un noyau métallique liquide. C’est ce noyau qui est à l’origine de l’existence d’un champ magnétique terrestre.
Radioactivité de l’air et de l’eau
Cette radioactivité naturelle du sol dépend de la concentration des trois isotopes précédemment cités. Ceci a pour conséquence que l’air et l’eau sont aussi naturellement radioactifs. L’air en raison du noyau fils 222Rn et l’eau (environ 20 Bq·L-1) du noyau fils 226Ra appartenant à la famille de l’uranium. Il fut d’ailleurs une époque où l’on vantait les mérites de cette radioactivité naturelle en plein accord avec les pouvoirs publics:
Comme on le voit aussi sur cette figure l’air d’une pièce non ventilée accumule le radon [2]. Elle peut donc atteindre une activité allant jusqu’à 1 kBq·m-3. Or, à l’extérieur cette même radioactivité est généralement inférieure à 10 Bq·m-3. Dans les cavités souterraines, les valeurs peuvent même atteindre 10 MBq·m-3. Toutefois, cela ne concerne évidemment que les mineurs.
Radioactivité artificielle
Depuis que l’homme a réussi à maîtriser l’énergie d’autres radio-isotopes, principalement 131I et 137Cs, peuvent augmenter considérablement le taux de radioactivité de l’air ambiant. La figure suivante (©SCK-GEN, Source Jean Louis Genicot) montre les mesures réalisées par un laboratoire belge. Celui-ci a suivi depuis un demi-siècle l’évolution de l’activité de l’isotope 137Cs dans le corps humain. Il montre l’impact d’évènements majeurs comme les retombées des essais nucléaires des années 60 ou l’accident de Tchernobyl [3].
Les activités de quelques centaines de becquerels peuvent sembler élevées. Elles sont en réalité très faibles. Une centaine de becquerels correspond à l’activité naturelle d’un kilogramme de notre corps qui n’est pas particulièrement radioactif. Il n’en reste pas moins que nous portons tous dans notre corps les traces de toute cette activité anarchique tournant autour de l’énergie nucléaire. Ceci de manière permanente et indélébile.
Accidents nucléaires
Pour information le nuage radioactif qui s’est échappé de la centrale de Tchernobyl en avril-mai 1986 avait une activité de 1-10 Bq·m-3. Celui de Fukushima en mars 2011 avait une activité de 0,001 Bq·m-3. Ces valeurs sont du même ordre de grandeur que l’activité naturelle due au radon. Le pic de Tchernobyl observé plus haut dans le corps humain ne provient pas d’une contamination de l’air. Il provient plutôt d’une contamination générale des aliments. La figure suivante donne l’ordre de grandeur des activités mesurées sur quelques produits alimentaires [4].
Une autre unité : le Gray
En fait, comme on l’a vu plus haut, l’activité mesurée en becquerels est une condition nécessaire pour être irradié. Elle est toutefois loin d’être suffisante. En effet, reprenons l’analogie de l’arme à feu. Peu importe après tout qu’elle tire avec un très haut débit, du moment que ce n’est pas dans notre direction. De plus, même si une balle nous touche, il faut aussi tenir compte de son calibre. C’est-à-dire de l’énergie cinétique qu’elle entraîne avec elle.
C’est ici qu’intervient la deuxième unité de radioactivité qui est le Gray (Gy). Cette nouvelle unité mesure la dose absorbée. C’est-à-dire l’énergie effectivement transmise par la source radioactive à 1 kg de matière quelle qu’elle soit (1 Gy = 1 J·kg-1 = 1 m2·s-2). Ici aussi, avant la rationalisation des unités de mesures, il existait une autre unité. Il s’agissait du rad, avec la correspondance 1 Gy = 100 rad. En fait, il doit aussi être clair que cette deuxième unité n’et utile que pour la matière inerte. Elle n’est plus d’aucune utilité dès qu’il s’agit de matière vivante.
Une dernière unité : le sievert
En effet, si je reçois une balle dans le pied cela fait évidemment mal. Toutefois, ma vie n’est pas réellement en danger. Car j’ai du temps pour réagir et prendre les mesures pour ne pas mourir. Si par contre je reçois la balle en plein cœur, là c’est la mort immédiate. Il faut donc aussi tenir compte de l’endroit qui est touché. Certaines parties de l’organisme sont en effet plus vitales que d’autres. C’est le rôle du Sievert (symbole Sv) que de mesurer la dose efficace. Celle qui fait que l’on peut vraiment être inquiet en raison d’une exposition à une source radioactive.
Pour transformer les Grays en Sieverts, on multiplie par deux facteurs, l’un Q tenant compte de la nature du rayonnement et de son énergie (dans le cas des neutrons). L’autre N tient compte de la sensibilité des tissus aux rayonnements, soit : Sv = Gy x Q x N [5] :
La somme de tous les facteurs de susceptibilité doit être égale à 1. Ces derniers facteurs de susceptibilité sont bien évidemment fonction des connaissances médicales. Ces dernières sont régulièrement mises à jour afin de coller au plus près au facteur de danger réel de l’irradiation. De manière quantitative, voici les taux moyens d’exposition pour la population [5] :
Exposition à la radioactivité
Les exemples des expositions à la radioactivité naturelle ou résultant des activités de l’homme sont des moyennes annuelles. Pour les radiographies et le vol en avion, la dose est prise en une fois lors de l’examen ou du vol. De manière plus générale, voici quelques données supplémentaires sur les niveaux d’exposition en fonction des activités:
Concernant les conséquences d’une exposition à la radioactivité, il est bon de retenir les chiffres suivants :
Exposition annuelle moyenne = 2,4 mSv.an-1 ≈ 274 nSv⋅h-1
Dose d’exposition maximale autorisée en France ≤ 5 mSv.an-1 = 600 nSv⋅h-1
Exposition maximale autorisée pour les travailleurs du nucléaire ≤ 20 mSv.an-1 = 2 µSv⋅h-1
Risques avérés de cancers ≥ 100 mSv·an-1 = 10 µSv⋅h-1
Syndrome hématopoïétique à partir d’une dose efficace de 2-4 Sv = 200-500 µSv⋅h-1
Syndrome gastro-intestinal à partir d’une dose efficace de 8-20 Sv = 1-2 mSv⋅h-1
Convulsions, coma, mort au-delà d’une dose efficace de 20 Sv = 2 mSv⋅h-1
Centrales nucléaires
Il existe des codes de couleur, si l’on se déplace dans une centrale nucléaire. Ces derniers donnent une idée du danger auquel on s’expose :
On est en zone bleue pour une exposition de 2,5-7,5 µSv⋅h-1
On passe en zone verte dans la gamme 7,5-25 µSv⋅h-1
La zone jaune correspond à 25-2000 µSv⋅h-1
La couleur devient orange dans la fourchette 2 -100 mSv⋅h-1
Au-delà de 100 mSv⋅h-1, la couleur vire au rouge
Lieu d’habitation et eau de boisson
Cliquez ici pour suivre en direct le taux de radioactivité de l’atmosphère sur son lieu de résidence. Par exemple au moment de la rédaction de cette page la radioactivité de l’air à Strasbourg était de 114 nSv·h-1. La norme française d’exposition maximale est de 600 nSv·h-1 avec risque avéré de cancers au-delà de 10 µSv·h-1. Je peux donc dormir sur mes 2 oreilles… Pour ce qui concerne l’eau de boisson, voici une analyse radiométrique d’une eau de source bue à raison de 1 litre par jour sur une année [4]:
Ici aussi, pas de quoi s’alarmer, on reste bien en-dessous du seuil de 2,4 mSv⋅an-1 dû à la radioactivité naturelle. Voilà, pour savoir si vous avez compris, vous pouvez essayer de décoder par vous-mêmes la gravité de l’incident de Fukushima…
Référence
[1] C. de la Vaissière, J. Labergue, Y. Sacquin, F. Hubaut, G. Audi, CNRS/EDP Sciences, Terre
[2] C. de la Vaissière, J. Labergue, Y. Sacquin, F. Hubaut, G. Audi, CNRS/EDP Sciences, Radon
[3] C. de la Vaissière, J. Labergue, Y. Sacquin, F. Hubaut, G. Audi, CNRS/EDP Sciences, Doses
[4] C. de la Vaissière, J. Labergue, Y. Sacquin, F. Hubaut, G. Audi, CNRS/EDP Sciences, Alimentation
[5] C. de la Vaissière, J. Labergue, Y. Sacquin, F. Hubaut, G. Audi, CNRS/EDP Sciences, Dose efficace‘
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