63•Hommage au Professeur Luc Montagnier (1932-2022)

63•Hommage au Professeur Luc Montagnier (1932-2022)

Épisode 63 – Covid-19, février 2022. La peur habite la tête, tandis que le courage vit dans le cœur.

Louise Penny

Avis de décès

Un immense scientifique, le professeur Luc Montagnier, nous a quitté le mardi 8 février 2022. Bien sûr, il y a Luc Montagnier, le grand scientifique. Mais, il y a aussi, Luc Montagnier, l’être humain. Or, j’ai eu la chance de le côtoyer pendant près de 12 années (2010-2022). Je me suis donc demandé comment il en était arrivé là. J’ai ainsi lu son autobiographie, publiée en 2009. Comme elle est en anglais, je vous la résume ici. Mieux connaître l’homme est, en effet, indispensable dès que l’on souhaite aller au-delà des louanges ou des crachats. Parce que l’homme ne laisse personne indifférent. Preuve irréfutable que nous venons de perdre un être d’envergure exceptionnelle.

Enfance

Luc Montagnier est donc né le 18 août 1932 à Chabris dans le Berry. Si sa mère était originaire d’une vallée de la Loire, son père, lui était Auvergnat. D’où son nom : Montagnier, l’homme qui vit dans les montagnes. Deux évènements vont marquer le petit Luc pour la vie. Le premier est un accident survenu à l’âge de 5 ans. Alors qu’il traversait une route nationale, il est renversé par une voiture roulant à grande vitesse. Il resta deux jours dans le coma et se réveilla « comme si j’étais né à nouveau », mais avec une multitude de cicatrices. Le deuxième est la déclaration de guerre en 1939, suivie d’un exil sur les routes en 1940 sous les bombes allemandes. Ce seront les terribles souffrances de son père et de son grand-père, dues aux pénuries de nourriture, durant les 4 années de guerre qui le persuaderont de devenir médecin.

Son grand-père était, en effet, atteint d’un cancer du rectum et mourut en 1947. D’où sa volonté d’entreprendre des recherches sur le cancer. Puis, ce furent les bombardements alliés de 1944. Luc retirera de toute cette période une aversion marquée pour les guerres et leurs atrocités. Au lycée, il avoue qu’il était brillant et en avance sur ses camarades de classe. Il se passionna donc pour les matières scientifiques et laissa derrière lui ses croyances catholiques religieuses. Comme tous les scientifiques en herbe, il installa un laboratoire de chimie dans la cave de sa maison. Il était fasciné par les progrès impressionnant de la physique atomique, distillé par des ouvrages de vulgarisation. Mais, n’ayant pas le niveau en mathématiques, il choisit de ne pas faire une grande école.

Premières recherches

Luc opta donc plutôt pour une inscription en même temps à l’école de médecine et à la faculté des sciences de Poitiers. Il voulait, en effet, devenir chercheur en biologie humaine. Le matin, il était de ce fait à l’hôpital et l’après-midi, il suivait des cours de botanique, de zoologie et de géologie. C’est à cette qu’il rencontra Pierre Gavaudan, un professeur de botanique très atypique. Car, les intérêts scientifiques de ce dernier allaient bien au-delà de la classification des plantes. En effet, il lui ouvrit une grande fenêtre sur ce qui était le début d’une nouvelle Biologie. À savoir, la double hélice de l’ADN, la synthèse in vitro des protéines par les ribosomes et la structure des virus.

Muni d’un appareil combinant une caméra de cinéma time-lapse et un microscope, cadeau de son père, il étudie chez lui, la phototaxie des chloroplastes. Ce travail original lui vaut de soutenir, à l’âge de 21 ans, une petite thèse à la Faculté des Sciences de Poitiers. En parallèle, son mentor, Pierre Gavaudan, lui demande de faire des recherches sur un sujet littéraire : les formes L des bactéries. Ce sera sa première rencontre avec le monde bactérien. C’est à cette époque, qu’il quitte Poitiers pour Paris, afin d’y poursuivre ses études de médecine. Son souhait est alors d’explorer certains aspects de la biologie plus proches de l’être humain, notamment la neurophysiologie, la virologie et l’oncologie. Il est donc engagé, à l’âge de 23 ans, comme assistant à la Sorbonne.

Premiers succès

Luc commence ainsi à apprendre les technologies anciennes issues des travaux d’Alexis Carrel. Il en profite pour acquérir une solide expertise des technologies pasteuriennes. De ce fait, il apprend à travailler dans des conditions parfaitement stériles sans utiliser d’antibiotiques. C’est la première description de l’ARN viral infectieux du virus de la mosaïque du tabac qui l’incitera, en 1957, à devenir virologue. Par ailleurs, il entre au CNRS en 1960 pour y étudier le virus de la fièvre aphteuse. Puis, en 1963, il part dans le laboratoire de Kingsley Sanders à Carshalton, près de Londres. Il démontre alors, pour la première fois, que l’ARN peut se répliquer comme l’ADN en fabriquant un brin complémentaire apparié à une base.

Ensuite, il se retrouve à Glasgow où il parfait ses connaissances sur les virus oncogènes aux côtés de Michael Stocker, Renato Dulbecco et I. Macpherson. Il démontre ainsi que l’ADN nu portait à lui seul tout le potentiel oncogène du virus, chose aujourd’hui évidente, mais très nouvelle à l’époque.  De retour en France, à l’institut Curie, il étend cette découverte cruciale à un certain nombre de cellules cancéreuses, transformées ou non par des virus oncogènes à ARN ou à ADN. Le grand mystère de l’époque est l’existence de rétrovirus. Suite à la découverte en 1970, de l’enzyme transcriptase inverse associée au virus du sarcome de Rous (RSV) des poulets. Il démontre ainsi, avec son collègue Philippe Vigier, la possibilité d’intégrer l’ADN proviral de ce virus dans les chromosomes d’une cellule. Puis, il cherchera activement l’existence de rétrovirus chez les mammifères.

L’Institut Pasteur

En 1972, Jacques Monod, alors directeur de l’Institut Pasteur, lui demande de créer une unité de recherche dans le nouveau département de virologie. Le but est d’arriver à détecter des virus impliqués dans les cancers humains. En 1975, deux autres chercheurs rejoignent son unité de recherche. Il s’agit de Jean-Claude Chermann et de sa collaboratrice, Françoise Barré-Sinoussi. Ces derniers apportent leur expertise en matière de rétrovirus murins. En 1982, il s’implique dans la recherche sur le SIDA lorsqu’il apprend qu’un agent transmissible — peut-être un virus — pourrait être à l’origine de cette nouvelle maladie mystérieuse. Il s’ensuit un travail acharné. En septembre 1983, il était en mesure de faire une présentation synthétique de toutes ses données, à Cold Spring Harbor, en faveur d’un lien de causalité entre le virus et la maladie.

Cette présentation a d’abord été accueillie avec scepticisme par un public restreint, dont Robert Gallo, le coorganisateur de la conférence. Mais, en 1985, celui-ci confirme les résultats de l’équipe Montagnier. Le reste de l’histoire a été largement commenté dans la presse, après l’attribution du prix Nobel de Médecine en 2008. Seulement voilà, l’histoire ne s’arrête pas là, comme voudrait nous le faire croire un communiqué tardif de l’Élysée.  Même l’hommage appuyé du Professeur Didier Raoult dans une interview à Sud Radio (https://www.youtube.com/watch?v=9e7EQP-gutM), s’arrête à cette contribution, essentielle mais “politiquement correcte”.  Pour ma part, j’ai plutôt connu le « nouveau » Luc Montagnier. Celui d’après le prix Nobel. Celui qui a publiquement repris et soutenu les travaux de Jacques Benveniste, décédé le 3 octobre 2004.

La « mémoire » de l’eau

Cela va donc faire bientôt 18 ans que je suivais Luc, lisant ses articles scientifiques et discutant physiquement avec lui, lorsqu’on se rencontrait dans les congrès consacrés à l’eau ou d’homéopathie. Voici, en conséquence, la fin de l’histoire. Toujours racontée par Luc, bien sûr, lors d’une interview à France Inter le dimanche 2 mai 2010. Le journaliste, Stéphane Paoli, lui demande pour quelle raison il a décidé de reprendre les travaux de Jacques Benveniste, un « grand homme qui avait vu se dresser contre lui la communauté scientifique ». Luc déclare ainsi : « Je me suis basé sur des faits qui sont des expériences qui concordaient avec les idées de Jacques Benveniste.  Donc, pour moi, Jacques Benveniste est un grand chercheur comme vous avez dit. Et, c’est vraiment scandaleux la façon dont il a été traité… C’est toujours une idée révolutionnaire que l’eau est un liquide extraordinaire.  ».

« C’est-à-dire que c’est un liquide qui paraît transparent dans un verre d’eau, mais qui, en fait, est fait de grains, de grains organisés. Et, il y a une autre molécule extraordinaire. C’est l’ADN, la double hélice qui est entourée d’eau. Ce que j’ai trouvé avec mes collaborateurs, c’est que cet ADN organise l’eau qui est autour et cette eau garde l’information de l’ADN.  Alors, cela correspond exactement à ce qu’avait trouvé Jacques Benveniste pour d’autres molécules.  Alors, c’était la première idée : c’est que l’eau peut transmettre des informations biologiques, c’est l’idée de Benveniste, et sa deuxième idée, c’est que l’on peut les transmettre à distance par des ondes, parce que cette eau qui est organisée, elle émet des ondes électromagnétiques, comme nous ici, nous correspondons par ondes et la nature aussi le fait depuis très longtemps sans que nous le sachions. »

Une histoire de physique et de biologie

Luc Montagnier affirme aussi que l’affaire Benveniste est une affaire aussi importante que l’affaire Galilée. Il explique alors qu’il n’est pas le seul à soutenir l’idée de mémoire de l’eau. Il se base ainsi sur le travail théorique de l’équipe de physiciens de Giuliano Preparata, à Milan. Travail que j’ai repris et que je continue à populariser après la mort de ce dernier et de son collaborateur le plus proche, Emilio del Giudice. Les lecteurs intéressés pourront consulter mon ouvrage « L’Eau et la Physique Quantique », publié en 2016 aux éditions Dangles. Au micro de France Inter, Luc déplore que les biologistes moléculaires imaginent les contacts entre les molécules par des contacts physiques. Or, ce que disait Benveniste était que ces mêmes molécules peuvent correspondre également à distance. Il s’agit donc, bien d’une révolution conceptuelle.

Et, changer de paradigme, cela prend du temps. Car, c’est de la science difficile, puisque toutes les expériences ne marchent pas. Notamment lorsque Benveniste essaye d’avoir un tube témoin. Parce que si l’on travaille avec des ondes, le tube témoin peut aussi acquérir ces ondes. Plutôt que de chercher à améliorer les conditions expérimentales, la revue « Nature », l’a suspecté de tricherie. Et, elle a tout mis en œuvre pour le discréditer. Luc, lui, n’est pas tombé dans ce piège. Et, il a eu le courage d’améliorer le protocole expérimental de Jacques, afin de le rendre irréprochable et reproductible. Mais, le problème, c’est que la masse des connaissances est énorme. En biologie, un tout petit domaine demande une spécialisation. Parfois, il ne faut donc pas hésiter à transgresser. Et, c’est en passant d’un domaine à l’autre que les collègues vous agressent.

La crise de la Covid-19

Car, pour comprendre les enjeux, il faut être multidisciplinaire. Parce que l’on pense que quelqu’un qui va dans différents domaines est un peu comme un papillon, il ne comprend rien. Mais, rien n’est plus faux. Réunir la biologie, la chimie et la physique est un défi où il n’y a que des mauvais coups à prendre. La crise de la Covid-19 en est un excellent exemple. Car, là aussi, Luc Montagnier s’est distingué par ses positions non conformistes. Comme j’ai parlé longuement de ses idées dans mes chroniques n° 19, 20, 21, 39, 45, 46 et 54, je n’y reviendrais pas ici. C’est dans la tourmente que l’on reconnaît ses vrais amis. Et, depuis 2004, je soutiens sans réserves Luc Montagnier, alors que d’autres scientifiques l’accablent d’injures et de quolibets.

Lorsqu’on voit son palmarès, on croît parfois rêver, ou plutôt cauchemarder. Fidèle compagnon de route depuis 12 ans, je puis vous dire que Luc était tout simplement incapable de suivre les sentiers battus. Tous ceux qui l’ont connu, vous diront cela. Lorsqu’il s’intéressait à un sujet, il expérimentait d’abord et argumentait après. Car, tout ce qu’il a pu déclarer ou faire durant sa très longue carrière scientifique  (1960-2022), était avant tout basé sur l’expérience. La théorie n’arrivait donc, que lorsqu’il fallait expliquer les résultats expérimentaux. Les faits, encore les faits, toujours les faits. Telle était sa devise, et je puis vous assurer qu’il était intraitable sur ce point.

So long, my friend

Voilà, j’espère avoir contribué à vous faire savoir qui était vraiment Luc Montagnier. Je n’ai appris sa mort que très tardivement. Car, je devais assurer une formation agricole, loin de chez moi, les 10 et 11 février. Le temps que je rentre chez moi, et la nouvelle était confirmée par Jamal Aïssa, son plus proche collaborateur scientifique. J’ai bien sûr été extrêmement ému, mais pas réellement triste. Parce que, je sais qu’il est parti avec le sentiment du devoir accompli. Une belle vie au service de l’humanité et non au service d’intérêts financiers divers. Une vie exemplaire qui doit servir de modèle aux jeunes scientifiques.

Je sais aussi, que ces deux jours passés dans le coma à l’âge de 5 ans, lui ont fait comprendre, que l’aventure continue après la mort physique. Car, la conscience est éternelle, et celle de Luc Montagnier brillera à jamais dans les cœurs sincères et fidèles. So long, Luc, et je suis sûr que l’on se reverra lorsque ce sera à mon tour de partir. Quel bonheur alors de savoir que j’irais rejoindre d’autres consciences aussi brillantes qui continuent à me guider par leurs écrits. Parmi eux, il y a Jacques Benveniste, Giuliano Preparata, Emilio del Giudice et maintenant Luc Montagnier. Je vais bien sûr me sentir un peu seul sur ce bout de Terre ensanglanté. Mais, je sais que je me battrais jusqu’à mon dernier souffle pour perpétuer la mémoire de ces êtres vraiment exceptionnels. 

Par Marc HENRY : La science va sans cesse se raturant elle-même. Ratures fécondes.

Victor Hugo
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