Effet d’un champ magnétique sur la lumière
La notion de spin ou moment angulaire intrinsèque permet d’expliquer l’interaction de la matière avec les champs magnétiques,. Et, ce même dans les cas de particules non chargées comme le neutron. En effet, le spin est une propriété de la matière qui indique comment les particules se comportent vis-à-vis des rotations. Le spin est une propriété cruciale de toute particule élémentaire. La quantification du spin se traduit par des nombres entiers ou demi-entiers. Ceci, lorsqu’on l’exprime en unité ħ/2, où l’on a ħ = h/2π = 1,1·10-34 J·s est la constante réduite de Planck.
Historiquement parlant, le spin permet de décrire les effets d’un champ magnétique sur la lumière émise par les atomes. Michael Faraday sera le premier scientifique à suspecter un lien entre lumière et magnétisme. Hélas, aucun succès ne vint couronner ses expériences. Le physicien hollandais Pieter Zeeman sera beaucoup chanceux. Il réussit ainsi à montrer qu’une raie d’émission lumineuse pouvait se transformer en de multiples raies. Il suffisait pour cela d’appliquer un fort champ magnétique, comme l’avait suspecté Faraday.
Expérience de Stern et Gerlach
L’origine de cette décomposition en multiplets s’explique en partie par la théorie de son compatriote Hendrik Lorentz. En effet, la théorie prévoit deux types de structures : doublets ou triplets. Hélas, lors des expériences, on observait également des quadruplets (4 raies) ou des multiplets ayant bien plus de raies. Cela montrait que la théorie de Lorentz, basée sur la physique classique, était insuffisante pour expliquer les effets Zeeman “anormaux”.
Puis, il y eut l’expérience cruciale réalisée en 1921 par les physiciens Otto Stern et Walther Gerlach. Ces derniers eurent l’idée d’utiliser des atomes d’argent ayant un moment magnétique nul. Contre toute attente, il était possible de séparer ces atomes en deux faisceaux par application d’un champ magnétique. Or, classiquement le faisceau n’aurait pas dû être dévié.
Impossible donc d’attribuer ce résultat à un moment cinétique de nature orbitale. D’où l’idée d’introduire un moment angulaire intrinsèque quantifié qui allait devenir le spin.
Principe d’exclusion de Pauli
La première étape fut l’œuvre du physicien autrichien Wolfgang Pauli. Il clarifia le problème posé par l’effet Zeeman au moyen d’un ingénieux principe d’exclusion. Pour établir son principe, Pauli utilisa une idée d’Edmund Stoner. Il proposa ainsi, fin 1924, d’associer à chaque état atomique, 4 nombres quantiques |n, L, mL, mS> avec -L ≤ mL ≤ +L. Il n’y avait donc plus d’orbite au sens de Bohr ou de Sommerfeld, où seuls 3 nombres suffisaient. Ce quatrième nombre quantique mS introduit par Pauli avait une caractéristique très étrange. Il ne pouvait, en effet, prendre que deux valeurs demi-entières ±1/2.
Pauli baptisa cette nouvelle propriété quantique : “observable binaire non descriptible classiquement“. Puis, en janvier 1925, il publia son principe d’exclusion. Ce dernier stipule que deux électrons dans un atome ne peuvent en aucun cas avoir les mêmes valeurs de nombres quantiques. Chaque électron ne peut donc avoir qu’un seul jeu de nombres quantiques. Toutes les autres possibilités se trouvaient exclues.
Un électron en rotation sur lui-même
Cette introduction d’un quatrième nombre quantique rendit les physiciens de l’époque extrêmement perplexes. Car, personne n’arrivait à trouver une signification physique à une telle observable. Pauli, lui-même ne pouvait donner aucune explication logique pour son principe d’exclusion. Il n’arrivait pas à le déduire des autres lois connues de la théorie des quanta. Or, en janvier 1925 Ralph Krönig (1904-1995), un physicien germano-américain, visita Tübingen. Cette ville était en effet, la Mecque des spectroscopistes de l’époque. On y trouvait de fait des spécialistes du magnétisme comme Alfred Landé, Walther Gerlach ou Ernst Back.
Landé venait juste de recevoir une lettre de Pauli lui exposant son tout nouveau principe d’exclusion. Il la montra bien sûr tout de suite à Krönig. En lisant la lettre de Pauli, Krönig compris que le quatrième nombre quantique mS correspondait à un moment angulaire intrinsèque de l’électron. C’est-à-dire à un mouvement de rotation de l’électron sur lui-même. Or, on désigne un tel mouvement par le terme “spin” en anglais.
L’objection de Pauli
Krönig soumit donc immédiatement son idée à Pauli. Celui-ci trouva l’idée astucieuse. Toutefois, il rétorqua que cela ne pouvait en aucun cas correspondre à quelque chose de réel :
“It is indeed very clever, but of course has nothing to do with reality“.
En effet, Pauli était un spécialiste de la théorie de la relativité. Il démontra tout de suite que pour un électron de masse me, on pouvait définir une « taille » R. Il suffisait pour cela d’égaler la masse relativiste à l’énergie électrostatique d’une sphère de rayon R :
m_{e}\cdot c^{2}=\frac{e^{2}}{4\pi \epsilon _{0}R}\Rightarrow R=\frac{e^{2}}{4\pi\epsilon _{0}m_{e}c^{2}}\approx 10^{-15} m
Pauli cherche alors à calculer la vitesse linéaire de rotation v à la périphérie de l’électron. Pour un moment angulaire ℏ/2 correspondant à un spin de 1/2, il vient :
m_{e}\cdot R\cdot v=\frac{\hbar}{2}\Rightarrow v=\frac{\hbar}{2m_{e}\cdot R}\approx 2\cdot 10^{10} m\cdot s^{-1}
Ceci montre qu’une partie de la masse constituant l’électron se déplacerait avec une vitesse supérieure à la vitesse de la lumière c = 3·108 m·s-1. La théorie de la relativité restreinte empêche donc de valider l’idée même d’une telle rotation. L’autorité de Pauli était considérable à cette époque. Beaucoup de physiciens, y compris Bohr et Heisenberg, rejetèrent donc en bloc l’image d’un électron en rotation sur lui-même.
Un profond mystère
Ce faisant, l’existence d’un spin 1/2 devenait un mystère profond. Face à cette objection majeure Krönig renonça à publier son idée. D’autant plus, que les calculs montraient qu’il y avait toujours un facteur 2 d’écart entre théorie et expérience. L’idée de Krönig, n’était toutefois pas nouvelle. Car, dès 1921 Arthur Compton avait déjà suggéré l’idée d’un électron, tournoyant sur lui-même comme un gyroscope. Compton cherchait, de son côté, l’ultime particule magnétique. Toutefois, il n’était pas spectroscopiste et ne connaissait probablement pas l’effet Zeeman anormal. Il ne creusa donc pas plus une telle idée.
Toutefois, le traitement relativiste de Sommerfeld expliquait parfaitement l’existence d’un doublet dans le spectre optique des métaux alcalins. Or, l’expérience montrait clairement que le même nombre quantique azimutal devait être appliqué aux deux raies du doublet. Seulement voilà, la théorie de Sommerfeld pour ce doublet, prévoyait deux orbites d’excentricité très différentes. C’est-à-dire deux nombres quantiques azimutaux différents. Le problème était donc particulièrement grave. Le fameux doublet relativiste de Sommerfeld avait-il un lien avec un quelconque effet relativiste ? Pouvait-il provenir d’un nouveau degré de liberté, tel que celui imaginé par Pauli ou Compton ?
Rotation de l’électron sur lui-même
Toutefois, les 2 physiciens hollandais, George Uhlenbeck et Samuel Goudsmit, ont compris que le quatrième nombre quantique de Pauli correspond à un “spin” de l’électron. Ceci, de manière indépendante de Compton ou de Krönig. Le papier de Pauli avait fortement impressionné Uhlenbeck et Goudsmit. Ces derniers cherchaient désespérément un moyen de visualiser physiquement la nouvelle observable binaire. D’où l’idée du mouvement de rotation de l’électron sur lui-même. Imaginez leur déception de voir que la vitesse de rotation v à la surface de l’électron violait le principe de vitesse maximale limite (v > c).
Cependant, nos deux compères se gardèrent bien de demander conseil à Pauli comme l’avait fait Krönig. Ils demandèrent plutôt conseil à Paul Ehrenfest. Très impressionné par l’idée, Ehrenfest leur conseilla de rédiger quand même une petite note à ce sujet pour le journal Naturwissenschaften. Il leur demanda aussi d’aller prendre conseil auprès du physicien néerlandais Hendrik Lorentz. De fait, Lorentz démontra à Uhlenbeck que la rotation de l’électron sur lui-même conduisait à des difficultés théoriques inextricables. En particulier, le moment magnétique de l’électron devrait être gigantesque. En gros, par équivalence masse/énergie, l’électron serait plus massif qu’un proton. Voire plus grand que l’atome tout entier.
Effet Paschen-Back
Uhlenbeck et Goudsmit pensèrent donc qu’il valait mieux éviter de publier cette petite note qu’ils avaient confiée à Ehrenfest. Toutefois, c’était déjà trop tard, car Ehrenfest avait entre-temps envoyé le papier pour publication. En guise de justification, Ehrenfest leur dit :
“Bon, c’était vraiment une très belle idée, même s’il s’avère qu’elle est fausse. En effet, comme vous n’avez encore aucune réputation, vous n’avez rien à perdre…”.
Quoi qu’il en soit, le 20 novembre 1925, l’idée d’un électron en rotation sur lui-même se trouve publiée dans la revue Die Naturwissenschaften. Le titre était : “Remplacement de l’hypothèse d’un stress non mécanique par un postulat concernant le comportement intrinsèque de chaque électron“. Suite à l’approbation de Niels Bohr, l’idée du spin de l’électron se retrouve publiée le 20 février 1926 dans la revue Nature.
En effet, cette hypothèse autorisait la composition vectorielle du moment cinétique orbital avec le moment cinétique de spin. Il devenait ainsi possible de rendre pleinement compte de l’effet Zeeman anormal. Surtout, il était enfin possible d’expliquer sa disparition en présence d’un fort champ magnétique. Phénomène connu sous le nom d’effet Paschen-Back.
Les matrices de Pauli
Malgré ce succès indéniable de l’hypothèse du spin, Ralph Krönig et Wolfgang Pauli refusèrent en bloc cette idée. Pauli allât même jusqu’à la traiter d’hérésie, car cela impliquait une violation du principe de relativité. En fait, on sait aujourd’hui que l’objection de Pauli manquait de rigueur. Car, toute particule quantique, quel que soit son spin, entier ou demi-entier est capable de tournoyer sur elle-même. Ce mouvement de rotation propre de la particule sur elle-même lui confère un « spin ». Tout comme la rotation macroscopique, un moment angulaire dit “intrinsèque” rend compte de ce degré de liberté.
En fait, beaucoup de physiciens sont encore réticents à décrire le spin comme une rotation physique de la particule sur elle-même. Ils préfèrent l’exprimer sous forme de matrices abstraites (matrices de Pauli) qui n’ont aucun équivalent en physique classique :
\hat{\sigma}_{x}=\begin{pmatrix} 0 & 1 \\ 1 & 0 \end{pmatrix}\qquad \hat{\sigma}_{y}=\begin{pmatrix} 0 & -i \\ i & 0 \end{pmatrix}\qquad \hat{\sigma}_{z}=\begin{pmatrix} 1 & 0 \\ 0 & -1 \end{pmatrix}
Cette manière de faire est évidemment extrêmement dommageable. Car, seuls des initiés peuvent comprendre ce qu’est exactement le spin. Ceux qui maîtrisent, par exemple, le calcul matriciel ou la théorie des groupes. Pour les autres, le spin reste une propriété vraiment très mystérieuse. Pour ma part, je n’approuve pas cette manière de faire. Je préfère m’en tenir à cette image simple. À savoir que tout objet non ponctuel qui tourne sur lui-même doit nécessairement posséder un moment angulaire intrinsèque. C’est ce moment que l’on appelle “spin”. Ceci est vrai aussi bien pour le photon de spin entier que pour l’électron de spin demi-entier.
Référence
Max Jammer, “The conceptual development of quantum mechanics”, McGraw-Hill, New-York (1966).
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