Le fer
L’hypothèse d’un océan Archéen acide est supportée par l’existence de larges dépôts de roches. Ces roches sont constituées de chailles, de sidérite (FeSiO3) et d’hématite (α-Fe2O3). La quantité de fer qu’elles contiennent est comprise entre 30 et 45%. La précipitation de telles roches a eu lieu au début de l’ère Protérozoïque. Elle peut être expliquée par l’accumulation progressive de fer dans les océans Hadéens et durant l’Archéen sous sa forme réduite, Fe2+.
L’ion ferreux Fe2+ est soluble dans l’eau dans des conditions anoxiques, réductrices et pour un pH compris entre 0 et 6. Dans un océan alcalin et oxygéné comme aujourd’hui, l’ion est oxydé en Fe3+ insoluble qui précipite sous forme d’hydroxyde FeOOH·nH2O. Ces dépôts durant l’ère Protérozoïque constituent donc un indice clair d’un changement majeur de pH et d’état rédox de l’eau de mer. Et, en particulier d’une l’évolution depuis un état anoxique et acide vers un état oxygéné et basique.
Le cérium
Il existe d’autres indices de l’état rédox de l’océan. L’étude des lanthanides dans les sédiments marins confirme l’oxygénation progressive de l’atmosphère et de l’océan. Ce phénomène connu sous le nom de « Grande Vague Oxydative ». Par exemple, il y a les calcaires lamellaires, trouvés dans les plateaux calcaires de Campbellrand en Afrique du Sud, appelés microbialites. Ces roches sont âgées de 2,42 milliards d’années. Elles montrent un excès de cérium (Ce) absent dans les microbialites actuelles. En effet, en présence d’oxygène, l’ion Ce3+ est facilement oxydé en ion Ce4+. Il se trouve donc entraîné par les oxydes ferriques, comme cela se passe dans les océans actuels. La présence d’une anomalie cérique au niveau des sédiments marins Archéens est donc un autre indice fort pour l’existence d’un océan anoxique.
L’azote
D’autres évidences géochimiques de cette anoxie durant l’Archéen proviennent des signatures isotopiques de l’azote contenu dans les kérogènes. Ces roches sont constituées de matières organiques polymérisées préservées dans certaines chailles. En effet, la composition isotopique moyenne de l’azote dans la matière organique marine actuelle diffère fortement de celle de l’atmosphère. La valeur moyenne du rapport δ15N dans la matière organique marine est de 8 ‰. Alors que celle de l’atmosphère est par définition de 0‰ puisqu’il s’agit de l’état de référence. D’où vient la différence observée entre ces deux rapports δ15N ? Celle-ci provient essentiellement du fractionnement isotopique produit par le processus de dénitrification. Ce processus concerne la transformation de l’ion nitrate NO3– par les microorganismes anaérobiques.
Pour les kérogènes Archéens primitifs, le rapport δ15N peut descendre jusqu’à -8,1 ‰. Au début du Protérozoïque, le rapport δ15N des kérogènes change de signe, passant de valeurs négatives à des valeurs positives. Cette inversion peut être évidemment attribuée à la « Grande Vague Oxydative ». L’oxygénation des eaux de surface océaniques à cette époque fut très certainement accompagnée par un changement de la chimie marine de l’azote. C’est-à-dire par l’oxydation de l’ion ammonium, NH4+ en ion nitrate, NO3–. En effet, en l’absence d’oxygène dans la colonne d’eau, l’ion NH4+ devait être l’espèce azotée dominante. Avec un cyclage efficace entre les bactéries photosynthétiques, les bactéries éboueuses et la colonne d’eau. La fixation métabolique bactérienne de l’azote des ions NH4+ expliquerait aisément les valeurs négatives des rapports δ15N des kérogènes Archéens.
Le soufre
Un changement dramatique s’est donc produit dès que la concentration en dioxygène O2 s’est mise à augmenter dans la colonne d’eau. Les autotrophes nitrifiants ont alors été capables d’oxyder l’ion NH4+ d’abord en ion nitrite, NO2–. Puis, les ions nitrite se sont transformés en ions nitrate NO3–. Mais, ces espèces azotées peuvent être transformées par les bactéries dénitrifiantes, en diazote N2 dans des conditions anaérobiques. C’est ce qui explique les valeurs positives des rapports δ15N observés dans les sédiments marins actuels. L’hypothèse d’un océan anoxique primitif a aussi des conséquences pour les espèces contenant du soufre. Durant l’époque Archéenne, presque tout le soufre contenu dans les espèces volatiles du système océan-atmosphère s’est retrouvé fixé sous forme de pyrite FeS2.
De fait, les dépôts significatifs les plus âgés de sulfate de calcium, anhydrite CaSO4, ne datent que 2,3 milliards d’années. Alors que la baryte BaSO4 se trouve fréquemment dans les sédiments Archéens ou de ceux du début du Protérozoïque. Cette quantité de baryte est très faible en comparaison de celle de la pyrite de la même époque. Mais, sa présence indique que l’ion sulfate SO42- était bien présent dans les eaux de surface océaniques durant les 3,45 milliards d’années écoulées. Ceci n’est pas surprenant, car le dioxyde de soufre volcanique, SO2 réagit avec l’eau à des températures inférieures à 400°C. On obtient ainsi de l’hydrogène et de l’acide sulfurique, sans qu’il y ait besoin d’oxygène :
SO2 + 2 H2O → H2SO4 + H2
Dernier point important, pour quelle raison l’eau de mer est-elle salée ?
Référence
Daniele L. Pinti (2005), «The Origin and Evolution of the Oceans», Lectures in Astrobiology, Vol. 1. M. Gargaud, B. Barbier, H. Martin & J. Reisse Eds, Springer-Verlag, New York, Berlin, p.83-112.
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