Épisode 8, Covid-19, avril 2020
Génome et cirque
Dans la chronique n°4, je vous ai peut-être laissé sur votre faim. Juste au moment où après avoir réussi à rentrer par effraction sur la piste du cirque (milieu intracellulaire), le virus va se déchaîner pour perturber le spectacle si bien rôdé qui s’y joue habituellement. Comme je l’ai déjà dit, tout cirque possède son monsieur Loyal. Ce dernier est très facilement reconnaissable avec son chapeau haut de forme noir. Il possède aussi une tunique toute rouge aux épaulettes dorées qui sont bardées d’une double série de boutons eux aussi dorés. Enfin, il se doit d’avoir un pantalon noir. Le monsieur Loyal cellulaire a aussi toujours une longue baguette. Signe que c’est bien lui le chef d’orchestre du spectacle proposé.
Les virus sont quant à eux essentiellement des Messieurs Loyal ne disposant pas de piste de cirque attitrée. Ils sont en quelque sorte des genres d’intérimaires. Ils sont tout à fait aptes à orchestrer la piste. Pour leur propre profit et non pour le profit d’un organisme multi-cellulaire. Les biologistes qui sont des gens très sérieux, ne s’expriment pas bien sûr en ces termes. Ils utilisent un vocabulaire plus technique où Monsieur Loyal s’identifie au « génome ». Pour ceux qui n’ont pas fait de grec, ce terme est la contraction d’un premier mot grec « génos » qui est en rapport avec la naissance. Le deuxième mot, « nomos », a trait à ce dont on fait usage selon des lois bien codifiées. Autrement dit transmettre son génome, c’est donner le pouvoir de créer des être vivants selon des règles de conduite bien précises.
Le cirque
C’est essentiellement pour cela que je n’hésite pas un seul instant à ranger les virus dans la catégorie des êtres vivants. Puisqu’ils ont, eux aussi, ont un génome transmis à leur descendance. Le fait qu’ils n’ont pas de piste de cirque attitrée comme le génome cellulaire importe peu. Puisqu’ils sont nés à une époque où il n’y avait aucune piste de cirque. Mieux, si l’on veut être honnête, ce sont les virus qui ont inventé de toutes pièces le cirque cellulaire que l’on peut contempler aujourd’hui. Car tout ce cirque, il a bien fallu le construire patiemment durant un milliard d’années. Deux personnages du cirque vont nous intéresser dans cette chronique : Monsieur Loyal bien sûr. Puis un artiste incontournable de tout spectacle de cirque : le prestidigitateur.
Prestidigitation
Dans le mot prestidigitateur, il y a référence au mot latin prae qui signifie devant, en avant. Ensuite, on trouve le mot steti qui évoque le fait de se tenir debout. Enfin il y a le mot digitus qui correspond aux doigts. Car le prestidigitateur c’est quelqu’un qui se tient debout pour mettre en avant ses doigts lors d’un spectacle. Son rôle est essentiel car avec lui tout est possible. Même les choses les plus folles et les plus extravagantes. Vous l’avez bien sûr reconnu, ce prestidigitateur c’est le ribosome. Il tire son nom du grec ancien sôma (« corps »). En préfixe, on trouve le nom d’un sucre que l’on retrouve parfois dans les météorites, le ribose. Un tel sucre fut isolé pour la première fois en 1891 par les chimistes allemand Emil Fisher et Oscar Piloty.
Le nom de ribose provient d’une transposition du nom d’un autre sucre. Ce sucre s’appelle l’arabinose, un épimère en position 2’ du ribose. On le trouve dans la gomme arabique, ou gomme d’acacia. Le ribose était déjà utilisé dans l’Égypte antique au IIIᵉ millénaire avant notre ère sous le nom de kami. Son rôle était d’assurer la cohésion des bandages de momies.
Le ribosome en action
Le ribosome est donc un corps dont l’un des composants essentiel est le ribose. Ce sucre est omniprésent sous de multiples formes chimiques dans toute cellule vivante. On le retrouve aussi bien sûr dans tout virus. Si j’assimile le ribosome à un prestidigitateur, c’est qu’il s’agit d’une machine moléculaire diabolique. Sous la gouvernance d’un monsieur Loyal, le ribosome peut faire sortir de son chapeau n’importe quelle protéine. La vidéo localisée à l’URL : https://www.youtube.com/watch?v=morl5e-jBNk, permet de voir cette machine infernale en action. Cela donne une idée de son incroyable dextérité à tricoter des protéines. L’information codant pour une protéine est envoyée par le Monsieur Loyal en service dans le cirque. Il utilise pour cela des émissaires appelés ARN messagers (en abrégé : mARN).
Essayons ainsi de bien comprendre les liens très intimes existant entre un Monsieur Loyal (ARN ou ADN) et ses prestidigitateurs (ribosomes). Les ribosomes sont de véritables esclaves aveuglement soumis aux ordres envoyés par des messages brefs (mARN) mais hautement significatifs. À tout seigneur, tout honneur, nous commencerons donc par décrire la structure générale d’un Monsieur Loyal de base sans son costume de scène. Ce costume est fait de protéines dites « chaperonnes » et bien sûr d’eau. Car sans cette molécule, notre Monsieur Loyal exploserait en mille morceaux en moins d’un milliardième de seconde.
Alphabet
Il faut trois ingrédients de base pour faire un Monsieur Loyal pleinement opérationnel. Le premier ingrédient est du sucre, le ribose. On l’obtient en polymérisant 5 molécules de formaldéhyde, d’où la formule [C{H2O}]5.
Bases puriques
Le second ingrédient est une molécule d’acide prussique de formule H-C≡N. Il s’agit d’un redoutable poison à l’état monomère utilisé dans les chambres à gaz. C’est en effet l’un des composants du tristement célèbre Zyklon-B. Heureusement, dans une cellule, il se polymérise cinq fois sur lui-même. Ceci afin de faire une base azotée appelée adénine de formule [HCN]5 que l’on symbolise par la lettre ‘A’.
Lors de cette réaction de polymérisation, on peut remplacer une molécule d’acide cyanhydrique par un autre poison tout aussi violent. Il s’agit de l’acide isocyanique de formule HCNO. Cela conduit à une deuxième base azotée appelée guanine de formule C5H5N5O que l’on symbolise par la lettre ‘G’. On obtient de la sorte un couple de bases dites « puriques ». Par mirroir, il existe aussi un couple de bases dites « pyrimidiques ».
Bases pyrimidiques
L’uracile, de formule C4H4N2O2, a pour symbole la lettre ‘U’. Il s’obtient en copolymérisant deux molécules d’acide isocyanique HCNO avec une molécule d’acétylène (formule HC≡CH). L’autre base est la cytosine, de formule C4H5N3O, qui a pour symbole par la lettre ‘C’. La cytosine s’obtient en en rajoutant à la copolymérisation précédente une molécule d’acide cyanhydrique (H-C≡N). Lors de la transformation, il y a élimination d’une molécule de monoxyde de carbone (C≡O).
On dispose ainsi d’un alphabet à quatre lettres (A, G, U, C). Pour former un ribonucléoside, on soude l’une de ces 4 lettres à une molécule de ribose. La soudure se fait par condensation entre la fonction aldéhyde R-CHO du ribose avec une fonction amine R’-NH-R’’ de la base azotée. Lors de la soudure, il y a élimination d’une molécule d’eau H2O.
Ions phosphate
Le troisième et dernier ingrédient est un ion phosphate [PO2(OH)2]⊝. Il s’agit d’un ion que l’on trouve dans l’écorce terrestre. Il existe là sous la forme d’un phosphate de calcium appelé apatite de formule Ca5[PO4]3(OH). On utilise l’apatite en bijouterie pour faire des bijoux. Dans la nature il sert à faire les os et les dents chez les animaux. Comme le révèle sa formule chimique l’ion phosphate possède une fonction hydroxyle P-OH. Cette fonction se condense avec la fonction alcool primaire Nu-CH2-OH d’un ribonucléoside. On obtient ainsi un ion ribonucléotide [(A, G, U, C)-Ribose-CH2-OPO2(OH)]⊝. Ici aussi, la réaction implique l’élimination d’une molécule d’eau.
On notera qu’un ribonucléotide porte une charge électrique négative. Il ne peut donc exister que dans l’eau en association avec des cations comme l’ion magnésium Mg2⊕ par exemple. Il est impératif qu’un nucléotide ne rencontre jamais ’ion calcium Ca2⊕. Car la rencontre aboutit à des composés hautement insolubles du genre apatite. Sans eau, pas de ribonucléotide et donc pas de Monsieur Loyal.
Polycondensation
Tout est maintenant en place pour fabriquer un Monsieur Loyal. Ce sera un long collier de perles (ribonucléotides) formé de 4 types de perles :
HO-Phos-(5’)Rib(1’-A)(3’)-OH, HO-Phos-(5’)Rib(1’-G)(3’)-OH, HO-Phos-(5’)Rib(1’-U)(3’)-OH et HO-Phos-(5’)Rib(1’-C)(3’)-OH.
On remarquera que chaque perle porte deux fonctions hydroxyles HO-X-OH et HO-Y-OH. Ces fonctions peuvent se condenser entre elles (HO-X-O-Y-OH) avec élimination d’une molécule d’eau (H2O). On remarquera que ce collier de perles est polaire. Il possède une extrémité de type phosphate correspondant au bout porté par le carbone 5’ du ribose. À l’autre extrémité, on trouve une fonction alcool porté par le carbone 3’ du ribose. Si l’on souhaite arrêter la croissance du collier, il suffit donc de retirer soit le bout phosphate, soit le bout alcool. Un point clé due à cette polarité est que la croissance d’un Monsieur Loyal de type « ARN » se fait toujours dans un seul sens. On progresse ainsi du bout phosphate pour aller vers le bout le bout alcool. On ne va jamais dans le sens inverse.
Génome
Voici donc l’anatomie complète d’un Monsieur Loyal simple brin à ARN positif :
Coucou-OP-blablabla-(AUG)-genome-(UAG)-blablabla-CO-AAAAAA…
La partie « Coucou » est une protéine « chapeau » attachée au bout phosphate (OP). Tout le reste de l’anatomie est une interminable succession de lettres de type A, G, C ou U. Ainsi, pour encoder le Monsieur Loyal du SARS-CoV-2, il faut un total de 29 903 lettres. Les portions de code notées « blablabla » ne sont généralement pas traduites en protéines. Ce sont des étiquettes qui permettent de savoir dans quelle partie de la piste le génome va pouvoir s’exprimer au mieux. La queue AAAA… accrochée sur le bout alcool (CO) est une succession de longueur très variable de ribonucléotides tous de type adénosine.
Lors de la réplication du génome viral, la longueur de cette queue se trouve régulée pour savoir ce qu’il convient de faire. Car un brin d’ARN peut être utilisé par la cellule hôte de trois manière différentes. Par exemple, le brin positif peut servir de patron pour fabriquer un brin complémentaire de polarité négative. Il s’agit ici d’un brin commençant par le bout alcool et se terminant par le bout phosphate. Ce processus est assuré par un photocopieur appelé ARN-polymérase ARN-dépendante (RdRp en abrégé). Grâce à ce brin de polarité inverse, le même photocopieur sera capable de générer un nouveau brin de polarité positive.
Lorsque la queue est très longue, le brin positif sera expédié vers le ribosome afin qu’il soit traduit en protéines. Enfin, lorsqu’il y a une concentration suffisante de brins positifs et de protéines, la longueur de la queue est ajustée. Ceci afin de signaler qu’il faut arrêter les processus de réplication et de traduction.
Virions
Il est alors temps que les Messieurs Loyal revêtent leurs beaux habits protéiques. Ce faisant, ils forment de nouveaux virions destinés à être expulsés de la cellule hôte. Ils vont donc aller prêcher l’évangile de l’infection aux autres cellules voisines non encore infectées. Dans la prochaine chronique nous verrons les différentes protéines encodées dans la portion « génome ». Celle située entre le triplet (AUG) indiquant où commence le génome et le triplet (UAG, mais aussi parfois UAA ou UGA) qui indique où le génome se termine.
Par Marc HENRY
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