9•La machinerie virale

9•La machinerie virale

Épisode 9, Covid-19, mai 2020

Coronavirus

Dans la chronique précédente, je vous ai quitté après avoir décrit l’anatomie générale d’un Monsieur Loyal de type virus à ARN simple brin de polarité positive. C’est de type de virus que l’on retrouve dans tous les coronavirus, le virus de l’hépatite C, le virus du Nil occidental et le virus de la dengue. Il en est de même des rhinovirus qui sont des virus peu pathogènes responsables des rhumes d’hiver. J’en profite pour rappeler que 15-30 % des infections virales bénignes de l’hiver sont dues à des coronavirus comme HCoV-229E ou HCoV-OC43,. Ces virus ont été découverts en 1966 et 1967 respectivement.

Ainsi, la lettre ‘E’ du HCoV-229E indique que ce type de virus peut être inactivé par l’éther. Concrètement, cela signifie qu’il possède donc une enveloppe huileuse. Les deux lettres ‘OC’ indiquent que ce type de virus peut être cultivé dans des organes comme le cerveau des souris. Il faudra attendre 2003 pour que le premier coronavirus vraiment pathogène, baptisé SARS-CoV, fasse son apparition en Asie. Il sera suivi du HCoV-NL63 apparu en Hollande (d’où les deux lettres ‘NL’) en 2004. Ensuite, il y eut HCoV-HKU1 apparu à Hong-Kong (d’où les deux lettres ‘HK’) en 2005. Puis ce fut le tour du terrible MERS-CoV apparu au Moyen-Orient (d’où les deux lettres ‘ME’) en 2012. Le SARS-CoV-2 est le petit dernier de cette série. Il est apparu fin 2019 et se trouve être l’ultime avatar d’une famille qui ne cause des soucis que depuis 2003.

Ribosome

Le point commun de tous les coronavirus est qu’ils s’attaquent aux voies respiratoires. Ceci de manière tout à fait bénigne, soit au contraire avec des complications sévères pouvant aller jusqu’au décès. Dans cette chronique, nous allons décortiquer le génome du SARS-CoV-2. Ceci va nous permettre de bien comprendre comment fonctionne la machinerie virale. Comme je l’ai déjà dit, un virus consiste en un brin d’ARN encapsulé dans un manteau de protéine. Eh bien, il existe dans toute cellule une particule formée de brins d’ARN eux aussi encapsulés dans un manteau de protéines. Je veux bien sûr parler du ribosome. En gros un ribosome ce n’est, ni plus ni moins, qu’un virus dompté capable de produire un grand nombre de protéines. Ceci pour le plus grand bien être d’une cellule.

Il n’est donc pas exagéré de dire que ce sont les virus à ARN qui ont « inventé » le ribosome. Le ribosome est un ouvrier spécialisé dans la fabrication de protéines. Il reçoit ses instructions de montage d’une protéine un autre dit “ARN messager (mARN)”. Ce messager est ARN simple brin de polarité positive comme celui contenu dans le génome des coronavirus. Lors de l’infection virale le ribosome présent dans l’eau intracellulaire (cytosol) est toujours en attente de messages de type ARN. Il peut ainsi recevoir un ARN messager produit par le noyau de la cellule hôte. Toutefois, il accepte aussi tout ARN viral. À condition évidemment que ce dernier se soit débarrassé de ses protéines capsides protectrices. 

Code génétique

Pour décoder l’information contenue dans l’ARN simple brin positif reçu, les ribosomes utilisent un dictionnaire bilingue. La traduction utilise pour sa par des ARN dits de transfert (tARNs). Ces acides ribonucléiques associent trois lettres de l’ARN messager, appelés un codon, à un acide aminé de formule générale R-CH(NH2)COOH. Ainsi, muni d’un alphabet à 4 lettres (AGUC) et en lisant les lettres par bloc de trois, on peut, a priori, encoder 43 = 64 acides aminés différents. La distinction se fait via la chaîne R variable. En fait la nature n’utilise que 22 acides aminés sur les 64 possibles. Les lettres, A, C, D, E, F, G, H, I, K, L, M, N, O, P, Q, R, S, T, U V, W, Y, symbolisent chacun de ces 22 acides aminés.

Le ribosome peut ainsi traduire la longue suite de lettres de type ribonucléotides en une chaîne d’acides aminés. Une telle chaîne possède au minimum d’une centaine d’acides aminés, mais peut aussi très bien aller jusqu’à plusieurs milliers. Chaque cellule de notre corps contient entre cent mille et dix millions de ribosomes. Il faut 5 secondes à 37°C pour que ces machines moléculaires soudent entre eux 100 acides aminés.

Deux types d’ARN permettent de faire de telles soudures. Il y a ainsi une petite sous-unité qui contient le site de décodage garantissant la fidélité du transfert d’information. L’autre sous-unité est beaucoup plus grosse. Elle possède le fer à souder pour créer une liaison peptidique R-C(O)-NH-R’. Pour cela, il faut disposer d’une fonction acide R-COOH que l’on raccroche à une fonction amine R’-NH2. La soudure se fait avec élimination d’une molécule d’eau tout comme lors de la soudure entre deux nucléotides.

Protéines

Tout comme l’ARN qui lui a donné naissance, une protéine a un sens bien défini ou polarité. Le premier acide aminé de la séquence de la protéine est par convention celui qui possède une extrémité amine libre R-NH2. On parle alors d’extrémité N-terminale ou de côté N-terminal. De manière symétrique le dernier acide aminé est celui qui possède une extrémité carboxylate libre R-COOH. On parle ici de côté de C-terminal. Les protéines correspondent à tous les artistes que l’on peut trouver sur une piste de cirque. Ceux-ci réalisent leurs numéros sous la houlette de Monsieur Loyal « ADN » dans une cellule saine. Pour une cellule infectée par un virus, c’est le Monsieur Loyal « ARN » qui prend le relais.

Pour réaliser leurs numéros, les artistes ont besoin d’accessoires. Les principaux sont l’eau et les ions minéraux. D’autres sont plus sophistiqués. Il s’agit des sucres, des lipides, des vitamines, de petits nucléotides, des neurotransmetteurs, et de petits peptides contenant moins de 100 acides aminés. Le génome du SARS-CoV-2, introduit sur la piste pas moins de 25 artistes trublions. Leur présence va semer une belle pagaille dans la cellule infectée.

Trois copies identiques d’un même protéine S forment les pointes du coronavirus. Grâce à de telles pointes, le virus peut se coller aux postes frontières de type ACE2. Ceci afin de balancer une protéine missile apte à s’enchâsser dans la couche huileuse qui forme la bordure de la piste. C’est dans la partie qui code pour cette protéine que l’on retrouve une séquence mutante de 12 lettres (CCUCGGCGGGCA) probablement responsable de l’affinité pour les récepteurs ACE2 humains. Pour produire des protéines, le génome viral est structuré en cadres de lecture ouverts (ORF) repérés dans le génome par des jalons.

Protéines non structurales

Le premier cadre (ORF1ab) occupe les deux premiers tiers du génome. Il code pour une gigantesque polyprotéine qui regroupe en un seul bloc pas moins de 16 virtuoses. Ces blocs, notés NSP, sont des protéines qui ne participent pas à la structure du virion.

Camouflage et sabotage

Toute cellule possède des protéines anti-virales. Celles-ci traquent sans relâche tout morceau d’ARN qui ne proviendrait pas du Monsieur Loyal en titre. L’ARN viral doit donc se camoufler pour tromper la vigilance des cerbères cytoplasmiques. Le SARS-CoV-2 possède ainsi deux protéines de camouflage : NSP10 et NSP16. Ensuite, il y a un saboteur cellulaire NSP1. Ce dernier s’arrange pour que l’ARN messager cellulaire ne soit plus reconnu par le ribosome. Ce dernier doit en effet accepter en lieu et place l’ARN viral.

Découpage, espionnage et empaquetage

Les régions NSP3 et NSP5 codent pour la fabrique de ciseaux de découpage de la polyprotéine. En prime, le ciseau NSP3 est aussi capable de retirer les différentes étiquettes apposées par la cellule sur ses propres protéines. Comme la coupure est ici faite par le virus, NSP3 dérègle totalement le trafic normal de la cellule hôte. Le rôle de l’espion NSP9 est de perturber la sortie des ARN messagers du noyau. Afin que la réplication du génome se fasse dans de bonnes conditions, il faut aussi créer des vésicules à double couches lipidiques. Ces vésicules devront être stabilisées par les « athlètes » NSP4 et NSP6.

Désentortillage

Il peut aussi y avoir un souci avec le ruban d’ARN du génome. Car, ce dernier présente une fâcheuse tendance à s’entortiller comme un fil de téléphone. C’est la raison pour laquelle il existe des ARN double brins. Un premier brin positif s’associe à un autre brin négatif. La nature exploite pour cela la tendance des bases de type C à se coller aux bases de type G. De même, il existe une la tendance des bases de type A à se coller aux bases de type U. Dans un simple brin, cette attraction mutuelle spontanée se fait entre parties plus ou moins éloignées d’un même brin. D’où la présence indispensable d’une désentortilleur en chef NSP13.

Clonage

Les régions NSP11-NSP12 encodent pour leur part le photocopieur à ARN (RpRd). Cette autre machine moléculaire dispose de deux assistants monteurs NSP7 et NSP8. Il y a aussi un assistant correcteur d’erreur NSP14.

Nettoyage

Reste les deux derniers cadres de lecture de la polyprotéine ORF1ab. La protéine NSP15 est le balayeur de service qui nettoie tous les ratés du photocopieur. Quant à la très mystérieuse région NSP2, personne ne sait exactement à quoi elle peut bien servir.

Le dernier tiers du génome encode les protéines responsables de l’assemblage du virion infectieux. On y trouve aussi les protéines qui facilitent la sortie du virus de la cellule hôte.

Protéines de structure

Il y a donc le cadre ORF2 qui encode pour la protéine de surface S. Ce cadre coopère avec ORF5 qui encode pour une autre protéine dite ‘M’. Cette protéine membranaire régule la courbure de l’enveloppe et donc la densité en surface de la protéine S. Le cadre ORF4 encode pour sa part une viroporine E, elle aussi présente dans l’enveloppe aux côtés des protéines S et M.

Cette protéine E est un canal à ions calcium qui pousse une cellule à se suicider lorsqu’elle se trouve insérée dans une membrane lipidique. Les cibles principales de la protéine E sont les cellules de type T du système immunitaire (lymphocytes T). Ces cellules sont en effet aptes à détruire les virions du SARS-CoV-2 et à réparer les dégâts. Toujours en relation avec le système immunitaire, il y a aussi le cadre ORF6. Celui-ci encode une protéine bloquant les signaux de détresse que pourrait envoyer la cellule infectée. Les cadres ORF3a et ORF7a encodent des protéines facilitant la sortie du virus.

Le premier code pour un canal protéique de sortie dans la membrane lipidique. Le second code une protéine apte à neutraliser de la tétherine. Cette dernière est une protéine de la cellule hôte qui patrouille en surface à la recherche d’éventuels virus en train de bourgeonner. En prime cette dernière protéine facilite le suicide de la cellule hôte lors de la sortie du virion.

Parmi, les derniers cadres, on trouve ORF8 qui est la signature spécifique du SARS-CoV-2. Le cadre ORF9 encode pour la nucléocapside ‘N’, qui habille et protège notre Mr Loyal viral. Reste le petit dernier ORF10. Il code pour une toute petite protéine contenant seulement 38 acides aminés. Personne ne sait encore exactement à quoi sert une telle protéine.

Résumé

Pour résumer, le SARS-CoV-2 infecte une cellule via sa protéine S. Ensuite, il, bloque les messages de la cellule hôte à destination du ribosome au profit de ses propres messages. Après réplication, il s’échappe en toute impunité en obligeant la cellule hôte à se suicider après son départ. Dans la prochaine chronique, on verre comment le système immunitaire de la personne infectée réagit pour tenter de contrer la propagation du virus.

Par Marc HENRY

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