Dynamique moléculaire
Il est impossible de représenter géométriquement la structure d’un liquide. Car, les molécules sont à la fois en agitation perpétuelle tout en restant en permanence collée les unes aux autres. Ceci confère au liquide une certaine structure à courte portée (< 1 nm) absente à l’état gazeux. À gauche de la figure ci-dessus, on voit une image de la structure de l’eau. Elle a été obtenue in silico par dynamique moléculaire à une échelle de temps qui est de l’ordre de la femtoseconde, soit 10-15 sec [1][2]. À une échelle de temps aussi brève, la structure se trouve figée. Il est alors possible d’identifier à quel type de grappe appartient une molécule donnée représentée ici par un point noir.
On remarquera que tous les cas de figure allant de zéro à quatre liaisons hydrogène par molécule sont représentés. Avec toutefois des poids statistiques différents (milieu) qui dépendent fortement de la température. On peut aussi faire la statistique en termes de circuits polygonaux à n-côtés non court-circuités (droite de la figure). Ceci montre qu’il existe des cycles allant de quatre à onze molécules, les plus fréquents étant les cycles à 5 molécules. Ce sont ces cycles que l’on retrouve à l’état solide dans les clathrates. Il y a aussi des cycles à 6 molécules que l’on retrouve à l’état solide dans les glaces de type Ih, Ic, II, VII et VIII par exemple.
Congélation et ébullition
La figure donne aussi quelques données thermodynamiques que l’on va essayer d’interpréter en termes de liaisons hydrogène. La première chose à faire est de comprendre pour quelle raison l’eau liquide existe dans un domaine assez étroit de température compris entre 0°C et 100°C. C’est ici la notion de potentiel chimique qui s’avère la plus utile. Car, l’état d’équilibre entre deux phases se caractérise toujours par une égalité des potentiels chimiques. Par exemple, pour trouver la température d’équilibre entre un état A et un état B, il suffit d’écrire :
{\mu _A}({T_0}) + \frac{{d{\mu _A}}}{{dT}}\left( {T - {T_0}} \right) = {\mu _B}({T_0}) + \frac{{d{\mu _B}}}{{dT}}\left( {T - {T_0}} \right) \Rightarrow T - {T_0} = \frac{{{\mu _B}({T_0}) - {\mu _A}({T_0})}}{{\frac{{d{\mu _A}}}{{dT}} - \frac{{d{\mu _B}}}{{dT}}}}
Ainsi, pour l’équilibre liquide ↔ vapeur, on aura, avec T0 = 25°C = 298.15 K :
T - {T_0} = \frac{{237,18 - 228,59}}{{188,7 - 69,9}} = 72K \Rightarrow T = 370K
De même, pour l’équilibre liquide ↔ glace, on aura :
T - {T_0} = \frac{{236,59 - 237,18}}{{69,9 - 44,8}} = - 24K \Rightarrow T = 274K
On prévoit ainsi, que l’eau liquide n’existera qu’au-dessus de T = 274 K = 1°C et en dessous de T = 370K = 97°C. On remarquera que l’on ne retrouve pas exactement les points de congélation (0°C) et d’ébullition (100°C). Ceci tient au fait que l’on a utilisé un développement au premier ordre en température du potentiel chimique. Ceci est une grossière approximation qui ne peut donner qu’un ordre de grandeur, proche de la réalité, mais non exact en toute rigueur.
Fusion de la glace
Considérons maintenant ce qui se passe lors de la fusion d’un morceau de glace. La figure ci-dessous montre les résultats d’une simulation informatique.
Elle révèle que la fusion ne se fait pas de manière continue, mais avec des paliers. La température de départ est ici T = 100 K avec une vitesse de chauffe de 0,5 K par picoseconde. Dans ces conditions, le réseau de la glace se trouve préservé (a) pendant les 100 premières picosecondes, soit T < 150 K. À cette température un plan de cisaillement apparaît dans le réseau qui s’étend progressivement (b) et se stabilise au bout de 200 ps, soit T = 200 K. La région en fusion recommence à grandir à partir de 290 ps et durant les 20 ps suivantes, il y a fusion totale (c). La température in silico est alors T = 255 K au lieu de T = 273 K, valeur expérimentale.
Ceci démontre que les potentiels utilisés pour simuler le comportement de l’eau ne sont pas encore tout à fait satisfaisants. Le point remarquable est la faible valeur de l’enthalpie de fusion. Ceci révèle que lors de la fusion, il n’y a pas beaucoup de liaisons hydrogène qui sont brisées. En effet, on saitque chaque molécule d’eau est engagée en moyenne dans deux liaisons hydrogène ayant chacune une énergie de l’ordre de 20 kJ·mol-1. L’enthalpie de fusion qui correspondrait à rendre isolées les molécules devrait donc être d’environ de l’ordre 40 kJ·mol-1. Avec seulement 6 kJ·mol-1 absorbés, on est donc loin du compte. Il est par conséquent clair que cette énergie doit correspondre au pliage des liaisons hydrogène et non à leur étirement pour briser le pont.
Entropie de fusion
On peut aussi regarder l’entropie de fusion. Lors de la transition, elle est égale au rapport entre l’enthalpie de fusion ∆Hfus = 6006,8 J.mol-1 et la température de fusion Tf = 273,16 K. On a donc ∆Sfus = 6006,8/273,16 = 21,99 J.K-1.mol-1. Sur un plan microscopique cette valeur correspond à la mise en rotation des molécules d’eau. Un tel processus est impossible à réaliser à l’état solide. Or, on sait que l’entropie de rotation classique d’une molécule d’eau isolée vaut Srot = 95,35 J·mol-1·K-1. On voit donc, que la rotation dans le liquide est relativement gênée. D’une part pour des raisons quantiques qui tiennent à la faible masse molaire de la molécule. Mais, surtout à cause de la présence d’un réseau 3D de liaisons hydrogène qui gêne le processus de rotation.
Si l’on passe de T = 273,16 K = 0°C à T = 298,15 K = 25°C, l’entropie augmente encore de 6,615 J·K-1·mol-1. D’un point de vue microscopique, le mécanisme de cette rotation a été étudié in silico par dynamique moléculaire [3]. La figure ci-dessous montre que la molécule d’eau qui veut se mettre en rotation doit casser une liaison hydrogène avec l’un des atomes d’oxygène appartenant à sa couche de premiers voisins.
Ici, les traits de couleur verte représentent les liaisons hydrogène. Pour la clarté, on a isolé une grappe de 3 molécules contenant un atome d’oxygène normal noté O*. Cet atome est lié à un dimère contenant deux atomes d’oxygène. Le premier, noté Oa, contient une liaison hydrogène de plus (5) que la normale (4). Le second, noté Ob, contient une liaison hydrogène de moins (3) que la normale (4). Suite aux fluctuations thermiques, la situation (A) peut se réaliser. On voit alors que Oa va chercher à s’éloigner de O* tandis que Ob au contraire va chercher à se rapprocher de O*.
Lorsque Oa et Ob sont équidistants de O*, l’atome d’hydrogène H* se trouve en bifurcation. Il peut alors changer de partenaire en s’orientant vers Ob (B). Ce mouvement fait qu’Ob possède maintenant 5 liaisons hydrogène alors qu’Oa n’en possède plus que 3 (C). Tout se passe donc comme si Oa et Ob avaient échangé leurs positions. Et, ce alors qu’aucun atome d’oxygène n’a bougé ! Bien évidemment, un peu plus tard, les fluctuations thermiques vont rétablir un voisinage normal à quatre voisins pour Oa et Ob.
Vaporisation et sublimation
Par conséquent, la coupure de la liaison hydrogène et la rotation moléculaire se font de manière concertée. Et, non de manière séquentielle, comme on pourrait naïvement le croire. Ceci signifie que la réorientation des molécules d’eau dans le liquide se fait via des sauts angulaires de larges amplitudes. Et, non par des petits pas diffusifs comme dans les liquides ordinaires. Une dernière grosse augmentation d’entropie se produit à l’ébullition,. Ce se produit dès qu’on libère les degrés de liberté de translation avec ∆Svap(298,15K, 0,1 MPa) = 118,895 J·K-1·mol-1.
Or, a valeur de l’enthalpie de vaporisation est à peu près égale à deux fois l’énergie d’une liaison hydrogène. On comprend donc que cette vaporisation détruise de manière irréversible le réseau 3D qui avait résisté à la fusion. La même remarque s’applique à l’enthalpie de sublimation de la glace. Celle-ci correspond au passage direct d’un réseau 3D de liaisons hydrogène rigides à une phase vapeur où il n’y a plus de liaisons hydrogène. Si l’on soustrait l’enthalpie de vaporisation de l’enthalpie de sublimation, on trouve que ∆H = 10,4 kJ·mol-1. Ceci nous donne une idée de l’énergie qui est nécessaire pour plier les liaisons hydrogène lors de la fusion.
Références
[1] Rahman A. & Stillinger, F.H. (1973), «Hydrogen bond patterns in liquid water», J. Am. Chem. Soc., 95 (1973) 7943-7948.
[2] Stillinger F.H. (1980), «Water revisited», Science, 209 (1980) 451-457.
[3] D. Laage & J.T. Hynes (2006), «A molecular jump mechanism of water reorientation», Science, 311 (2006) 832-835.
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