Épisode 24 Covid-19, juin 2020
Facteur d’impact
Un véritable psychodrame autour de la chloroquine a marqué la semaine qui vient de s’écouler. On a en effet vu une revue médicale prestigieuse se ridiculiser en publiant une étude bidon. La revue s’appelle « The Lancet », ce qui en bon gaulois signifie « Le Bistouri ». Je vous ai présenté dans les deux chroniques précédentes comment évaluer le palmarès académique d’un chercheur lambda. Sachez, que l’on peut faire de même avec des journaux scientifiques. Cela s’appelle le facteur d’impact. L’outil a été conçu en 1960 par le fondateur de l’Institut de l’information scientifique (Institute for Scientific Information), Eugène Garfield.
Le facteur d’impact représente, pour une année donnée, le rapport entre le nombre de citations sur le nombre d’articles publiés par un journal, sur une période de référencement de deux ans. Depuis son introduction, beaucoup de chercheurs cherchent désespérément à publier dans les revues se situant en tête de classement. Car généralement, c’est bon pour leur carrière et leur salaire. La conséquence est que certains chercheurs sont prêts à tout, y compris à tricher en manipulant les données.
Un bon polar
C’est ce qui vient se passer avec l’article du Lancet. On y trouve tous les ingrédients du bon polar. Une revue prestigieuse et des chercheurs interlopes faisant confiance à une société douteuse, Surgisphere, inventant des données. Il y a aussi, la directrice des ventes et du marketing de ladite société, Ariane Anderson. Elle serait en fait l’actrice X, Skye Daniels, une call-girl travaillant à Las Vegas, antre de la débauche et du jeu. Il y a bien sûr notre druide Marseillais, nobélisable en goguette, dont on veut dézinguer le traitement. Le virus SARS-CoV-2 qui a réussi à mettre à genoux l’économie mondiale, joue pour sa part le rôle de détonateur. Enfin, en toile de fond, une organisation mondiale de la santé (OMS) qui semble être à la botte des industries pharmaceutiques.
Un gringalet
Même Rouletabille et Sherlock Holmes y perdrait leur latin. Pour démêler l’imbroglio, je commencerais par parler de la feuille de chou, « The Lancet ». Avec un facteur d’impact 2019 de 59, elle pointe en quatrième position sur un total de 12 507 journaux scientifiques recensés. En troisième position, on a «The New England Journal of Medicine » (NEJM) avec un facteur d’impact de 71. Je me limite à ces deux journaux, puisque ce sont eux qui ont été ciblés par Sapan S. Desai, le vilain petit canard de l’histoire. Pour un médecin, publier dans l’une de ces deux revues prestigieuses, est un Graal absolu.
Notez bien que ce qui rend ces revues prestigieuses, c’est que chaque article publié rapporte aux auteurs en moyenne 71 citations pour NEJM et 59 citations pour Lancet. Cela se bouscule donc au portillon pour arriver à placer un article. Comment faire pour publier dans une revue prestigieuse alors que vous êtes un gringalet de la recherche ? Car le palmarès de Mr Desai est loin d’être brillant. En 16 ans de recherches, il a certes réussi à publier 110 papiers. Hélas, son taux de citation est au plus bas, C = 861 pour h = 16 et hm = 19.
La méthode
C’est la crise du COVID-19 qui va permettre à Mr Desai de réaliser le rêve de tout biologiste : publier dans NEJM et Lancet. L’idée est de s’acoquiner avec des chercheurs au palmarès bien fourni. Desai leur fait miroiter l’accès à des données médicales collectées sur l’ensemble des 6 continents. Il fournit aussi un algorithme mathématique « maison » pour exploiter les données. Le mot « maison » est ici tout indiqué puisque la société Surgisphere n’a pas de bureaux. Mr. Desai travaille en fait à domicile. C’est le miracle d’internet. Vous êtes chez vous en slip et charentaises et de là vous pilotez la planète entière.
En gros, on laisse des gens bosser et prendre des risques au contact de malades. Ces personnes qui bossent remplissent évidemment des dossiers et font des rapports qui sont informatisés. C’est là que Desai intervient. Il prétend pouvoir collecter ces données informatiques grâce à son algorithme maison. Avec 240 millions de fichiers provenant de plus de 1 200 organisations de soins de santé dans 45 pays, Desai plastronne. Sauf, que la base de données ne peut être consultée que par Desai lui-même et son personnel. Personnel qui est d’ailleurs difficilement identifiable et injoignable. Voilà dans quel guêpier se sont fourré trois respectables chercheurs et deux revues médicales prestigieuses.
Tollé mondial
Car suite à la publication de l’article de Mehra, Desai, Ruschitzka et Patel, 119 professeurs, issus de 26 pays, ont émis de sérieuses réserves sur la validité de l’article. Une lettre ouverte aux auteurs et au Lancet a donc été publiée. Le journal se devait de réagir, car sa réputation était en jeu. Comme aucun hôpital ne reconnaît avoir transmis de données à Surgisphere, le doute grandit. On s’aperçoit avec effroi que certaines données auraient été purement et simplement inventées. Le refus de Desai de donner accès à sa base de données va alors aboutir, il y a 3 jours, à la rétractation du papier.
Incompétence à tous les étages
La question qui se pose maintenant est de savoir comment on a pu en arriver là. En fait, le problème n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est l’hystérie mondiale provoqué par le COVID-19. Or, voici la conclusion à laquelle est arrivée le chercheur John P. A. Ioannidis en 2005. « La plupart des études scientifiques sont erronées. Elles le sont parce que les scientifiques s’intéressent au financement et à leurs carrières plutôt qu’à la vérité ». Cela fait donc 15 ans qu’on sait qu’il y a, pour paraphraser Hamlet, « quelque chose de pourri dans l’empire de la science ». Si le problème est patent en médecine, aucune discipline n’est aujourd’hui à l’abri des fraudes.
Toutefois, il serait trop simple de casser du sucre sur le dos du seul Sapan Desai. Car il n’est que le méchant vizir de l’histoire. La chaîne de responsabilités en en fait immense. Car, avant même que l’on envoie l’article aux experts, il faut passer le barrage éditorial. Ensuite, soit les experts n’ont pas fait leur travail, soit ils étaient mandatés pour ne pas le faire. Quid, de l’OMS où les experts ne manquent pas ? Eux aussi ont pris de graves décisions sur la base d’un article foireux. Quid de notre Haut Conseil de santé publique ? Olivier Véran, après l’avoir consulté mettait fin aux dérogations mises en places pour faciliter l’utilisation en France de l’hydroxychloroquine. Quelqu’un de compétent n’aurait-il pas pu simplement lire l’article ?
Décodage
Je l’ai bien sûr fait pour me faire ma propre opinion. Ce qui est frappant, ce sont les chiffres. L’étude portait sur 96 032 patients provenant de 671 hôpitaux répartis sur 6 continents. Elle a officiellement démarré le 14 avril 2020 pour publication le 22 mai 2020. Je sais bien qu’aujourd’hui, tout va très vite. Toutefois, 5 semaines de travail, cela fait environ 3 millions de secondes. Or, il faut sélectionner les dossiers, faire tourner la bécane informatique, interpréter les résultats et rédiger l’article. Pour 96 000 malades, cela nous donne 3 000 000/96 000 = 31 secondes de travail par dossier. Chapeau bas les artistes. Par comparaison, le stakhanovisme, c’est une promenade de santé.
Qu’une feuille de chou qui prend pour icône un bistouri puisse se faire berner, passe encore. Comme on l’a dit plus haut, le problème n’est pas nouveau. Par contre, que des organisations mondiales et des gouvernements puissent être manipulés ainsi laisse songeur. Pour ma part, j’ai directement sauté à l’antépénultième paragraphe de l’article. Là où les auteurs donnent les limitations de leur étude. Je ne résiste pas au plaisir de vous traduire la fin de l’article qui vaut son pesant de cacahouètes.
Les limites de l’étude
« Notre étude a plusieurs limites. L’association d’une diminution de la survie avec les traitements thérapeutiques à l’hydroxychloroquine ou à la chloroquine doit être interprétée avec prudence. En raison de la conception de l’étude observationnelle, nous ne pouvons pas exclure la possibilité de facteurs de confusion non mesurés. Nous avons cependant noté, de manière rassurante, la cohérence entre l’analyse primaire et les analyses appariées du score de tendance. Néanmoins, une relation de cause à effet entre la pharmacothérapie et la survie ne doit pas être inférée. Ces données ne peuvent pas non plus s’appliquer à l’utilisation de tout schéma thérapeutique prodigué en ambulatoire et en dehors de l’hôpital. Des essais cliniques randomisés seront nécessaires avant de pouvoir tirer des conclusions sur les avantages ou les inconvénients de ces médicaments chez les patients atteints de COVID-19. »
« Il convient également de noter que, nous avons bien évalué la relation entre les schémas thérapeutiques et la survenue d’arythmies ventriculaires. Cependant, nous n’avons pas mesuré les intervalles QT, ni stratifié le schéma d’arythmie (comme la torsade de pointes). Nous n’avons pas non plus établi si l’association d’un risque accru de décès à l’hôpital avec l’utilisation des schémas thérapeutiques est directement liée à leur risque cardiovasculaire. Ni effectué une analyse dose-réponse médicamenteuse des risques observés. Même si ces limites suggèrent une interprétation prudente des résultats, nous pensons que l’absence de tout avantage observé pourrait toujours représenter une explication raisonnable. »
La conclusion
Si vous lisez bien entre les lignes, cela laisse quand même pantois. Voici maintenu la conclusion de l’article :
« En résumé, cette étude multinationale, observationnelle se place dans le monde réel de patients atteints de COVID-19 nécessitant une hospitalisation. Elle a révélé que l’utilisation d’un traitement à base d’hydroxychloroquine ou de chloroquine (avec ou sans macrolide) n’était associé à aucune preuve de bénéfice. Nous avons aussi noté une augmentation du risque d’arythmies ventriculaires et un risque accru de décès à l’hôpital avec COVID-19. Ces résultats suggèrent que ces schémas thérapeutiques ne devraient pas être utilisés en dehors des essais cliniques. Une confirmation urgente par des essais cliniques randomisés est nécessaire. »
Une étude inutile
Le changement de ton entre les deux paragraphes est saisissant. Le premier admet que l’étude est un simple jeu statistique, car aucune expérience n’a été réalisée. Il avoue, honnêtement, que plein de chose auraient dû être faites et que l’on s’est bien gardé de les faire. C’est le deuxième paragraphe qui choque, compte tenu du fait que la base clinique et thérapeutique est très faible. Tout à la fin, on apprend aussi qui a fait quoi. Ainsi, il y avait deux concepteurs et superviseurs de l’étude Mehra et Patel. C’est Mehra qui a rédigé le papier. Desai a assuré seul la collecte des données et leur analyse statistique.
Quant à Ruschitzka, il n’a rien fait du tout et s’est contenté d’encaisser du pognon. Car, dans ce quatuor, c’est lui le plus titré (P = 469, C = 28 255 et h = 61). On peut donc raisonnablement penser que l’on a utilisé son nom pour passer le barrage éditorial de la revue. Regardez bien l’image qui illustre cette chronique. J’y ai mis l’impressionnant tableau de chasse industriel de ce chercheur Suisse. En trente ans de recherche, ce monsieur a visiblement mangé à toutes les gamelles pharmaceutiques.
Que dire de plus, sinon qu’un sérieux ménage s’impose dans les revues médicales. Le mieux serait un désabonnement massif des médecins qui payent cher pour lire ce genre d’inepties. Car, avec plus de 12 000 revues, ce n’est pas le choix qui manque.
Par Marc HENRY
Leave a Reply