Épisode 10, Covid-19, mai 2020
Signes inflammatoires
Quand vous êtes victime d’un cambriolage, il y a bien sûr l’entrée par effraction. Puis, il peut y avoir la mise à sac du logement par le cambrioleur. Après le départ de ce dernier arrive le temps des policiers et de la réparation des dégâts causés. L’infection d’une cellule suit à peu près le même scénario. Ainsi, après avoir étudié l’effraction et la mise à sac de la cellule par un virus, il nous faut dire un mot de l’arrivée de la police sur les lieux du délit. Cela se fait avec constitution d’une cellule de crise qui répond au doux nom d’inflammasome. Comme son nom l’indique l’inflammasome signifie qu’il y a le feu au lac. On retrouve ici le mot latin inflammatio qui signifie action d’incendier, suivi du mot grec soma, qui indique un rapport avec le corps humain.
Il existe 5 signes cardinaux qui vous permettent de savoir qu’un inflammasome est en cours de constitution dans une partie du corps. Cela peut se traduire, par exemple, par une augmentation de température sous la forme d’une chaleur locale ou d’une fièvre. L’apparition d’une rougeur en raison d’un afflux de sang vers la zone concernée est un autre symptôme. Certains auront une sensation de douleur. Il peut aussi y avoir formation d’un œdème par transformation d’eau morphogénique en eau liquide. Enfin, lorsque l’inflammation est massive on peut devenir impotent en raison d’une fatigue intense. Tous ces signes indiquent qu’il y a eu cambriolage dans les cellules du corps. La police met donc tout en œuvre activement pour engager des courses poursuites avec les cambrioleurs. Une fois, ces derniers arrêtés, les policiers dressent des procès verbaux.
Nettoyeurs et juges
Toute effraction convoque aussi des agents nettoyeurs chargés d’évacuer tout ce qui a été cassé. D’autres se chargent de réparer les dégâts occasionnés. Non seulement ceux occasionnés par les cambrioleurs eux-mêmes, mais aussi ceux causés par certains policiers trop zélés. Car la poursuite ou le massacre du malheureux cambrioleur qui a eu la malchance de se faire coincer laisse des traces. Ceci parce qu’il n’y a aucune prison dans un corps humain. Juste une justice expéditive où une sentence de mort est prononcée immédiatement après la capture. Les juges qui accompagnent en permanence les policiers examinent bien sûr le dossier du prévenu. S’il est coupable, l’unique sentence possible sera la mort avec exécution sans délai et sans appel possible.
Cette chronique a pour but de décrire sommairement le système judiciaire du corps humain (système immunitaire). De même, elle présente le tribunal (inflammasome) qui se met en place pour juger et exécuter les cambrioleurs identifiés comme faisant de la famille SARS-CoV-2. De manière très générale, le système judiciaire du corps humain s’organise selon trois lignes de défense.
Lignes de défense
Première ligne
La première ligne de défense est là pour prévenir l’infection. Les principaux acteurs sont : la peau, le mucus à la surface des membranes cellulaires, les cils à la surface du mucus, l’acidité stomacale et enfin le flux urinaire. Ici, pas de mise à mort de l’intrus, mais on l’élimine simplement du corps, sans autre forme de procès.
Deuxième ligne
La deuxième ligne de défense est beaucoup plus coercitive. Il s’agit de mettre à mort ceux qui ont réussi traverser la première ligne. On parle ici de système immunitaire inné, car la mobilisation est très rapide et comme la première non spécifique. On ne cherche pas à savoir qui s’est introduit, ni pour quelle raison il y a eu effraction. L’image que l’on peut avoir ici en tête est la statue féminine que l’on trouve devant tous les palais de justice. Cette statue représente une femme plus ou moins dénudée.
La justice recherche en effet la vérité dans sa nudité la plus crue. De plus, elle n’a rien à cacher concernant ses sinistres intentions. Ses yeux sont recouverts d’un bandeau, ce qui signifie qu’elle se fiche totalement de l’identité de l’intrus. Il est donc inutile de chercher à discuter avec elle. Enfin, elle tient une balance dans une de ses mains. Cette balance lui permet de décider de manière purement binaire si le coupable doit mourir. Soit une cellule fait partie du corps, ou bien alors elle n’en fait pas partie. Il n’y a aucune autre alternative possible. S’il faut tuer, la justice utilise, sans hésitation aucune, l’épée qui se trouve dans l’autre main.
Le fait que la justice soit une femme, signifie aussi clairement qu’elle tranche sur une question de vie ou de mort. Car c’est bien la femme qui est seule capable de mettre au monde un nouvel être vivant. De fait, toute infection virale ou bactérienne a pour but clair et affiché de proliférer. C’est donc bien un problème d’enfantement d’une progéniture qu’il convient de régler très vite.
Troisième ligne
Enfin, juste avant leur mise à mort, on photographie les condamnés avec prise d’empreintes digitales. Cela permet de constituer un dossier d’infraction qui sera archivé afin de garder une mémoire de ce qui s’est passé. Ces empreintes et ces archives constituent donc la troisième ligne de défense appelée système immunitaire adaptatif. Ce système évite à la deuxième ligne de défense de se mobiliser à nouveau en cas de récidive. Tout intrus préalablement fiché, est immédiatement reconnu lors de toute tentative de récidive. Toutefois, c’est ici l’armée et non les juges qui intervient. Plus question d’être à poil avec un bandeau sur les yeux en brandissant une balance et une épée. C’est plutôt la tenue de combat avec rangers, treillis et casque. Le tout accompagné de toute une panoplie d’armes à la Rambo : sulfateuse, bazooka, lance-flamme, lance-roquette, etc.
Ces armes sont utilisées de manière sélective et ciblée envers tout individu portant une étiquette le désignant comme indésirable. Cette troisième ligne est donc à valeur essentiellement masculine. Car, le but est ici de tuer un intrus, mais aussi une cellule de son propre corps. Il suffit pour cela que ladite cellule soit infectée. Dans ce cas, il convient de l’éliminer au plus vite afin d’enrayer la propagation de l’infection. Donc, on a d’un côté la justice féminine qui traque sans relâche les intrus. De l’autre côté, il y a l’armée masculine qui dézingue de manière rapide tout ce qui étiqueté comme nuisible. On peut de la sorte vivre sans problèmes dans un monde grouillant de virus et de bactéries. Ceci sans avoir à se confiner par un réflexe de peur instinctif et irréfléchi.
Tribunal
Intéressons-nous maintenant au tribunal mis en place par le système judiciaire féminin de la cellule. Dès qu’une effraction est détectée, le tribunal se réunit en toute urgence. Ce système emploie ce que l’on appelle des récepteurs. Il s’agit de protéines repliées sur elles-mêmes qui exposent à leur milieu environnant un motif de reconnaissance. Ceci afin de savoir si l’on a affaire à un intrus ou non. Tout d’abord, on distingue deux types de récepteurs.
Un premier type se trouve sur la bordure de la piste du cirque cellulaire. Il s’agit de récepteurs membranaires de type TLR ou CLR. Un deuxième type se trouve sur la piste elle-même. Ce sont les récepteurs cytoplasmiques de type NLR, RLR, ALR ou IFI16. La signification de tous ces acronymes importe peu. Elle découle de l’histoire de la découverte de ces protéines réceptrices. Cela fait partie du jargon totalement hermétique au profane des adeptes de ce que l’on appelle la biologie moléculaire.
Lavoisier
Seuls des initiés peuvent comprendre un tel langage après des années d’études acharnées. Du point de vue du vocabulaire, le biologiste moléculaire tient plus de l’alchimiste que du chimiste. Car la chimie a profité de la révolution de 1789 pour jeter aux orties les noms alchimiques très poétiques des substances chimiques. Ceci afin de les remplacer par une nomenclature rationnelle. Cela a permis un essor fulgurant de cette discipline tout au long du dix-neuvième siècle. Aucune science n’est possible sans ce passage crucial du simple vocabulaire au lexique. On retrouve ici l’œuvre du chimiste Antoine-Laurent de Lavoisier secondée de son épouse Marie-Anne Pierrette Paulze.
Par amour pour son mari, cette femme apprendra la chimie, le latin, l’anglais et l’italien. Ceci afin de devenir l’une des plus fidèles collaboratrices de son illustre mari. Ceci est tout à fait remarquable, puisque sa formation initiale était littéraire et artistique. Pour les services réalisés pour le rayonnement de la chimie en France et dans le monde entier, on guillotina le citoyen Lavoisier sur la place publique. Son corps fut empilé dans une fosse commune sans sépulture. Sa femme fut par contre épargnée. Le président du tribunal révolutionnaire qui condamna Lavoisier fera cette déclaration mémorable : « La République n’a pas besoin de savants, ni de chimistes ; le cours de la justice ne peut être suspendu ».
Biologie moléculaire
Vu le sort réservé à Lavoisier, la biologie moléculaire s’en tient toujours, même à notre époque, à un vocabulaire hermétique digne d’une alchimie moyenâgeuse. Elle peine à passer au stade de lexique. Or, cette étape est indispensable pour disposer d’un code biologique linguistique cohérent. Comme celui dont dispose la chimie moderne grâce à Lavoisier. Prenons juste un exemple du peu de sérieux des biologistes. Il s’agit de la découverte d’un nouveau joujou moléculaire appelé « Toll-like receptor » ou TLRs. Ces récepteurs se trouvent à la surface des membranes cellulaires afin d’y détecter d’éventuels agents pathogènes. Les mots « like » (comme en français) et « receptors » (récepteurs en français) sont explicites. Toutefois que dire du mot « toll » (péage en français) ?
Pas grand-chose, car il n’y a rien à payer dans une cellule où tout est spontané et donc gratuit. Je sais qu’une telle phrase risque de provoquer des hoquets d’indignation chez la plupart des biologistes moléculaires. Car, beaucoup d’entre eux pensent (à tort) qu’il existe une « monnaie » d’échange dans toute cellule. Les biologistes appellent cette monnaie ATP, acronyme du mot « adénosine triphosphate ». Avant de m’insulter, je peux justifier cette position sur un plan scientifique. Si cela n’est pas clair pour tout le monde, je pourrais m’en expliquer dans une chronique future, mais pas ici.
C’est génial
Donc, dans une cellule il n’y a aucun argent en circulation. L’idée même d’avoir un péage est tout simplement idiote. Alors, d’où vient ce fameux « toll » si important en cas d’infection ? C’est là que vous allez sûrement rigoler. Car l’acronyme TLR est un hybride linguistique germano-britannique. Christiane Nüsslein-Volhard, colauréate du prix Nobel de physiologie et de médecine en 1995, a forgé un tel acronyme. La chercheuse découvre ainsi l’existence de ces fameux récepteurs chez les mouches du vinaigre (drosophiles) en 1985. Elle se serait alors exclamée, « Das ist ja toll! ». En bon français, cela signifie « C’est super (génial) ! ». Trente-cinq après, nos apprentis biologistes planchent lors de leurs examens sur ces fameux TLRs. Avec pour seule aide lexicographique que c’est un truc « génial ». Je ne prends ici qu’un seul exemple. Car quasiment tous les acronymes de la biologie moléculaire sont du simple vocabulaire.
Ce qui passe réellement dans une cellule n’a aucun lien apparent avec un tel jargon technique. D’où l’extrême pénibilité à comprendre la biologie pour des non-experts. D’où aussi l’énorme effort de mémoire à faire pour tout étudiant en biologie. Il lui faut en effet apprendre par cœur des listes interminables et incohérentes de mots qui ne se rattachent à aucun un lexique cohérent. C’est cette même incohérence qui refait bien sûr surface lors cette épidémie de COVID-19. Certains disent “blanc” le matin et “noir” le soir, dans la confusion la plus totale. Rendez-vous donc dans la prochaine chronique pour étudier plus en détails les inflammasomes NLRP3 et AIM2. Ces acronymes horribles sont les deux tribunaux activés lors d’une infection par le SARS-CoV-2 en relation avec la COVID-19.
Par Marc HENRY
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