27•La momie, le racisme et le virus

27•La momie, le racisme et le virus

Épisode 27 Covid-19, juin 2020

Artistes

Nous sommes aujourd’hui le 15 juin 2020. On pourrait commémorer la naissance de Guy Bedos en 1934 ou la mort de Raymond Devos en 2006. Deux personnages qui ont marqué, chacun à leur manière, mon enfance. Pour Guy Bedos, c’était l’humour pied-noir acide et décapant. Il est mort le 28 mai, trois jours avant mon beau-frère. Pour Raymond Devos, c’était la magie des mots et la science de l’absurde. Suzanne Flon, morte en 2005, avait, elle, bercé mon enfance. J’écoutais en boucle sa voix douce et sérieuse qu’elle prêtait aux contes pour enfants. Plus tard, en lisant le livre de Bruno Bettelheim sur la psychanalyse des contes de Fées, j’ai compris tout ce qu’elle m’a apporté.

On pourrait aussi fêter la naissance du jauni qu’à pas d’idées. Il a, de fait, encore plein de fans. Lui ne m’a pas apporté grand-chose. Car, à l’époque, j’étais plus Claude Moine (alias Eddy Mitchell) ou Hervé Forneri (alias Dick Rivers).

Politique

Côté politique, Emmanuel Macron vient de s’adresser, hier, à la nation. Je n’ai pas eu le courage de l’écouter. La simple idée de voir son regard fixe et ses traits impassibles me met mal à l’aise. Quand j’étais môme, j’étais fasciné par les momies. Or, à chaque allocution présidentielle, j’ai l’impression de voir des momies nous parler. Comme dans les bandes dessinées d’Adèle Blanc-Sec de Jacques Tardi. D’ailleurs on fête aussi aujourd’hui la victoire, en 1969, de Georges Pompidou sur Alain Poher. Lui, allait devenir très vite une momie, même s’il ne le savait pas encore.

C’était l’époque où l’on savait rire de tout. Même des choses les plus graves. Savez-vous ainsi quel était le sobriquet du général de Gaulle dans les cours de récré de l’époque ? Réponse : « la plus grande poule de France ». Pourquoi ? « Parce qu’il pond Pidou et couve de Murville ». Tenez, va y avoir bientôt les municipales. Dans les cours de récré du midi de la France on vous posait, à chaque élection municipale  depuis 1966, la question à cent sous : « Pour qui vos tétons ? ». Il fallait évidemment répondre : « Mais pour vous mes deux seins ». Bon, ceux qui n’ont pas connu le maire de Nice, Jacques Médecin, auront du mal à suivre.

Harkis

Toutefois, pourrait-on encore se moquer de la sorte de quelqu’un ? La décence m’oblige à taire les blagues vraiment ignobles qui circulaient à l’époque sur les gens qui n’étaient pas blancs de peau. Dans le midi de la France, la cible c’était les Arabes. Car après les accords d’Evian de 1962, il y a eu 90 000 « français musulmans », les Harkis, qui ont débarqué dans notre beau pays catholique. Principalement dans le Sud de la France, là où j’ai passé toute ma jeunesse. En juin 1962, des vagues de milliers de personnes arrivaient chaque jour à Marseille. Pour les remercier d’avoir servi fidèlement la France, le gouvernement de l’époque les a simplement parqués dans des camps. Bien sûr, on parlait officiellement de « lieux de transit ».

Toutefois les maisons étant préfabriquées en tôle ondulée et fibrociment, elles étaient très mal équipées. Puis, le fibrociment, c’est ce bon vieux mélange de ciment et d’amiante qui s’effiloche au fil du temps. Pour les enfants des Harkis, la vie était dure dans les cours de récré des écoles catholiques. J’ai vécu toute mon enfance dans ce climat de racisme officiel et bien pensant. Dès qu’il faisait un peu chaud, c’étaient pas les ouvriers blancs qui maniaient la pelle sur les chantiers. On ne voyait que des têtes bien bronzées. C’était normal, puisque la science disait que, grâce à la mélanine, ces gens-là étaient moins sensibles aux UV.

Racisme

Alors, quand j’entends dire aujourd’hui que la France blanche et catholique n’est pas raciste, je rigole doucement. Je suis aussi allé aux USA et j’ai revu le même racisme envers les Afro-américains et les Hispaniques. Je ne l’ai pas trouvé pire ni meilleur. Simplement, il m’est apparu plus revendiqué qu’en France, où l’on a plutôt honte. Je me rappelle très bien ma mère, bonne catholique. En voyant l’Arabe de service lui faire un mur sous un soleil torride, elle avait les larmes aux yeux. Alors, pour se donner bonne conscience, elle allait chercher de vieilles fripes que mon père ne mettait plus. Faut dire qu’elles avaient bien vécues lesdites fripes. Pour faire plaisir à ma mère, Mohammed, les prenaient gentiment en remerciant bien poliment.

Toutefois, son regard ne trompait pas. Avec mes yeux de gamins, je voyais bien que Mohammed aurait préféré un meilleur salaire. Ben non, tu auras un salaire de misère et les trucs les plus pourris dont les blancs ne veulent plus. Après, il y avait les repas de famille, où ma mère déclarait tout haut : « De toute manière, je n’aime pas les noirs, les jaunes et les Arabes ». On rigolait tous comme des bossus, surtout en fin de repas où l’alcool lève les inhibitions. Puis venait les blagues les plus pourries. Chez tout chrétien blanc qui se respecte, j’ai toujours vu tout au long de mon enfance, un raciste en puissance.

Déconfinement

Avec le recul, je pense que c’est pour cela que j’ai bien vite fui la messe dès que j’ai eu le courage de dire non à mes parents. Quand le déconfinement est arrivé, je savais qu’il allait y avoir du grabuge dans le monde entier. J’avoue toutefois avoir été très surpris de voir la tournure prise par les évènements. Je m’attendais à voir les banquiers et les assureurs mis à la lanterne, pour les punir de leur attitude odieuse, avant, pendant et après la crise. Eh ben non, on va accepter de travailler plus et de gagner moins afin de rembourser une dette qui s’annonce colossale. Cela semble ne choquer personne. Par contre, on ne supporte plus le racisme, sur lequel la France, comme tous les pays riches, s’est construit.  

Grippe asiatique

Je vous propose pour terminer de revenir 63 ans en arrière, en juin 1957. Parti de Chine en février, un virus mortel parcourt Hong Kong, Taïwan, Singapour et Bornéo. Il atteint ensuite l’Australie et l’Amérique du Nord avant de frapper l’Europe, en même temps que l’Afrique et l’Amérique. En juin 1957, le secrétariat d’État à la Santé publique affirme que « l’épidémie de grippe asiatique ne justifie pas d’inquiétude particulière ». Malgré 100 000 cas aux États-Unis, la presse se veut rassurante. Les victimes étrangères, grâce au racisme larvé, n’émeuvent guère. On parle de renvoyer à une date ultérieure la rentrée scolaire, l’école étant un foyer de contamination par excellence.

L’été, peu propice au développement des virus grippaux, se passe sereinement. Toutefois, les choses s’emballent à la rentrée. Un Français sur cinq a la grippe. Les hôpitaux sont submergés. Car le nouveau virus se caractérise par une forte contagiosité. Les médecins doivent travailler jour et nuit. La majorité des victimes sont des adolescents.  Est concernée aussi la femme enceinte au cours du troisième trimestre de grossesse. Par contre, les personnes âgées de plus de 70 ans résistent très bien. Cette « grippe asiatique » restera dans les annales comme la première pandémie grippale de l’ère moderne. Elle fera 2 à 3 millions de morts dans le monde, dont 100 000 dans l’Hexagone. Vingt à trente fois plus qu’une grippe saisonnière classique.

Vaccination

À l’époque, les antibiotiques sont présentés comme une riposte très efficace aux surinfections bactériennes, complications classiques de la grippe. D’autant plus que l’on dispose, dès 1947, d’un vaccin contre la grippe. Dans l’affolement, on administre le vaccin à quelques dizaines de milliers de personnes, surtout âgées. Soit, justement, la population la moins sensible. Pendant ce temps, la pandémie poursuit son avancée dans l’Hexagone. Le pic survient à l’automne 1957. Présente dans le Nord et l’Est (Moselle), la vague grippale s’intensifie brusquement dans la seconde quinzaine d’octobre, entraînant son lot de désorganisations.

Les stocks de médicaments s’épuisent vite, car les malades en puissance se ruent sur les stocks d’aspirine et de vitamine C. Bien sûr, il n’y a pas assez de doses vaccinales et elles arrivent trop tard. La moitié d’entre elles ne seront disponibles qu’après le pic de l’épidémie. Dans l’opinion, l’agacement est à son comble. En fait, le virus, un H2N2,  est radicalement différent de ses prédécesseurs. Notamment de la fameuse « grippe espagnole » de 1918, un H1N1. Le vaccin n’a donc pas fonctionné, car il n’était tout simplement pas adapté au nouveau virus. Sans vaccin, ni médicament miracle, la première pandémie moderne s’éteint naturellement au printemps 1958. On estime qu’à l’hiver 1957-1958, 20 % des Français ont été malades (environ 9 millions), donc immunisés. Auxquels il convient d’ajouter 5 % de porteurs sains, qui ont attrapé le virus sans le savoir.

Immunité

Les répliques ont été de moins en moins importantes d’année en année, au fur et à mesure que l’immunité augmentait dans la population. Petit à petit, le virus est devenu saisonnier. Il faudra attendre près de dix ans et la seconde pandémie grippale mondiale de l’ère moderne pour que ce virus H2N2 soit supplanté par un troisième, le H3N2. Comme le virus de la grippe ne cesse de muter, on aura toujours un vaccin de retard. Cela n’empêche pas les laboratoires pharmaceutiques d’investir des sommes colossales dans la recherche de vaccins. On finira par comprendre que les personnes âgées de 1957-1958 possédaient en fait la mémoire immunitaire d’un virus similaire, datant vraisemblablement de 1889-1890. 

Momies

Si j’ai fait cette chronique, c’est que je me sens bien sûr concerné. Ne suis-je pas né à l’été 1958, juste après l’épidémie de H2N2 ? Si je calcule bien, ma mère était enceinte de 3 mois en février 1958. Elle a survécu. De plus, ma naissance est intervenue 2 mois avant l’avènement de la cinquième république. J’ai donc connu tous les présidents de la République française. Ceci m’a permis de les voir tous se momifier au cours de leurs différents mandats. Enfin, quand j’étais gamin, le racisme était omniprésent autour de moi. Or, je ne pense pas qu’il a disparu comme par enchantement, grâce à un soi-disant progrès social. Il est toujours bien là, dans les forces de police bien sûr, mais aussi dans toutes les réunions de famille, où l’on peut se lâcher.

Culture et religion

Quelle leçon tirer de tous ces retours en arrière ? La première est que l’on peut très bien vivre dans un milieu foncièrement raciste sans devenir raciste pour autant. Quand on est gamin, on est bien obligé de suivre la meute. Ce qui m’a permis, une fois venu adulte, de ne pas rester raciste, c’est la lecture assidue de nombreux ouvrages. J’ai pu ainsi saisir l’admirable niveau de culture de la civilisation arabe, le raffinement extrême des philosophies chinoises et la sensualité animiste des cultures africaines ou amérindiennes. Ceci démontre bien que l’on peut développer l’excellence en étant arabe, jaune, noir ou peau-rouge.

Je pense aussi qu’il faut admettre qu’il y a dans toute religion un racisme inné et profond envers les autres religions. La vraie racine du mal n’est pas dans la couleur de la peau, mais dans un fanatisme religieux. Car, le français et l’arabe peuvent cohabiter sans problème. Par contre le chrétien et le musulman vont spontanément chercher à s’opposer. Car, il ne peut y avoir qu’une seule vérité. Si donc une religion se trouve dans la vérité, toutes les autres sont nécessairement dans l’erreur.

À retenir

Si j’ai aussi tenu à rappeler le déroulement de la grippe asiatique de l’automne 1957, c’est pour que l’on se rende compte, que 63 ans après, on n’a rien voulu apprendre. Il y a quand même eu environ 100 000 morts en France en 1958, contre moins de 30 000 en 2020. Cela fait donc 63 ans que l’on aurait dû se préparer et l’on a strictement rien fait. Je n’ai pas souvenir qu’il y ait eu de crise économique majeure en 1958. Alors que celle qui s’annonce pour l’automne 2020 promet d’être dantesque. La crise de 2020 n’est donc pas une crise sanitaire. C’est à la base une crise morale et sociétale qui a été déclenchée par un virus.

Donc, toutes ces mesures sanitaires qui vont à l’encontre de notre nature humaine sont tout simplement débiles. En effet, quand des jeunes meurent et des vieux survivent, il est évident que l’on a un problème sanitaire majeur. Si par contre, les vieux tombent comme des mouches, alors que les jeunes ne sont pas affectés, l’aspect sanitaire est tout à fait mineur. Ce qui devient majeur, c’est l’incompétence flagrante qui règne à tous les niveaux de décisions politiques. Un pouvoir politique diaphane a laissé des médecins sur le papier, donner des ordres à des médecins sur le terrain. Cela va laisser des traces. C’est donc bien le système médical occidental qui est en crise et totalement inadapté à l’émergence de pandémies, même mineures.

Par Marc HENRY

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