L’existence du spin permet de classer les particules élémentaires en fermions ou bosons. Or, les atomes d’hydrogène sont de spin demi-entier, I = ℏ/2. Ils se comportent donc comme des fermions. Maintenant, la molécule d’eau contient deux atomes d’hydrogène. De plus, tout spin 1/2 ne peut adopter que deux orientations Iz = ±ℏ/2. Il en découle alors que les spins des deux atomes d’hydrogène peuvent, par exemple, être parallèles. Dans ce cas, le spin nucléaire total vaut I = ℏ/2 + ℏ/2 = ℏ, états appelés triplets de spin. On parle alors d’eau “ortho”.
L’eau “ortho” est de spin 1 (I = ℏ). Cette molécule existe donc sous 3 états quantiques différents (triplet de spin). Ces états se caractérisent par la valeur de la projection du spin sur un axe orienté de direction arbitraire. L’axe coïncide très souvent avec la direction d’un champ magnétique externe. L’état |1,+1> de spin Iz = +ℏ correspond à une projection dans la même direction que le champ. Il y a aussi l’état |1,-1> de spin Iz = -ℏ. Il correspond à une projection dans la direction opposée au champ. Enfin, on trouve l’état |1,0> de spin Iz = 0. Il correspond à une projection perpendiculaire à la direction du champ.
Une autre possibilité est que les spins des atomes d’hydrogène soient anti-parallèles. Dans ce cas, le spin nucléaire total vaut I = ℏ/2 – ℏ/2 = 0 (singulet de spin). On parle alors d’eau « para ».
Le spin total étant ici nul, il n’y a qu’un seul état |0,0> . La molécule est alors complètement insensible aux champs magnétiques. L’eau ortho étant un triplet de spin, elle existe sous trois états (mI = 0, ±ℏ). L’eau para étant un singulet de spin, il n’existe qu’un seul état (I = mI = 0). Ainsi, plaçons-nous à une température suffisamment haute (typiquement T > 50 K). Le rapport à l’équilibre thermique doit alors être de 3 molécules d’eau ortho pour 1 molécule para. Même dans ces conditions et surtout en phase non condensée où les collisions sont rares, l’isomérisation ortho ↔ para peut prendre beaucoup de temps. Car la théorie quantique impose que le spin d’un système isolé se conserve indéfiniment dans le temps.
L’a molécule d’eau existe donc sous deux isomères de spin pour la molécule. Cela a des conséquences importantes pour ses niveaux d’énergie de rotation et de vibration. Ainsi, l’eau ortho possède une énergie rotationnelle de point zéro. C’est-à-dire qu’il est impossible de l’empêcher de tourner sur elle-même. Ceci, même au zéro absolu où T = 0 K. À l’inverse l’eau para ne possède pas d’énergie rotationnelle de point zéro. Elle s’arrête donc de tourner dès que T < 53 K. On peut produire de l’eau ortho avec une productivité de 0,5 mL·h-1. Pour l’eau para, cette productivité est de 0,1 mL·h-1. Ceci a permis d’estimer le temps d’inter-conversion en milieu condensé. On estime que pour la glace, le temps de relaxation est de plusieurs mois.
Pour l’eau liquide, le temps de relaxation de l’eau para est voisin de 26 ± 5 min. Celui de l’eau ortho est plus long, soit 55 ± 5 min. Or, la fréquence d’échange des protons dans l’eau liquide est très rapide. Ceci signifie que ces temps de relaxation sont 1 million de fois plus long que ceux attendus. Il semblerait donc que l’échange de protons ne produise pas d’interconversion ortho/para. La conversion à l’état vapeur n’a de fait jamais encore été observée à ce jour. Pour toutes ces raisons, il est tout à fait possible de séparer les isomères ortho et para de l’eau. On peut le faire par adsorption sur une surface. Car, toute surface présente des champs électriques très inhomogènes. Une alternative est bien sûr d’utiliser des champs magnétiques. Puisque dans ce cas, seule l’eau “ortho” est sensible.
Référence : Vladimir I. Tikhonov and Alexander A. Volkov, «Separation of Water into Its Ortho and Para Isomers», Science, 296 (2002) 2363.
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