Tabac et cancer
On entend souvent dire que le tabagisme est la cause principale du cancer du poumon. Toutefois, certaines personnes soulignent à juste titre que certains gros fumeurs meurent sans avoir ce type de cancer. Réciproquement, d’autres qui n’ont jamais fumé de leur vie voient leurs vies abrégées par ce cancer redoutable. Essayons donc d’apporter quelques éléments de réponse scientifiques pour tenter d’y voir plus clair. Sur le plan chimique, une molécule se dégage nettement du lot, à savoir le benzo[a]pyrène, hydrocarbure polycyclique aromatique de formule C20H12:
On sait qu’environ 60% des cancers du poumon proviennent d’une mutation du gène P53 suppresseur de tumeurs. Le benzo[a]pyrène se trouve à une dose de 20-40 ng par cigarette. Après inhalation, il y a activation métabolique pour transformer cette molécule en un carcinogène ultime. Il s’agit du benzo[a]pyrene diol epoxide ou BPDE [(±)-anti-7β,8α-dihydroxy-9α,10α-epoxy-7,8,9,10-tetrahydrobenzo[a]pyrene]. Cette molécule est en effet capable de se lier à l’ADN pour former des adduits covalents (+)-trans au niveau des positions N2 des molécules de guanine.
BPDE et ADN
Une étude a ainsi pu mettre en évidence avec un niveau de résolution de chaque nucléotide comment se distribuent les adduits du BPDE le long des exons du gène P53 pour des cellules épithéliales bronchiques [1]. Des adduits très stables ont ainsi été observés au niveau des bases guanine dans les codons 157, 248 et 273. Il s’agit là de positions de mutation majeures observées pour les cancers du poumon. Ceci établit donc un lien direct causal entre l’absorption de benzo[a]pyrène et le cancer du poumon.
Toutefois, l’histoire ne s’arrête pas là. Car, une autre cause non chimique de mutation de l’ADN peut intervenir. Il s’agit de l’absorption de l’isotope 210Po émetteur alpha via la fumée de cigarette. Cet isotope est l’un des radionucléides les plus dangereux parmi toutes les espèces radioactives. En effet, après inhalation de la fumée, l’action ciliaire accumule des particules solides sur des “points chauds”. Ces points sont situés au niveau de la bifurcation en bronches tertiaires. Il s’agit de sites très fréquents de localisation des carcinomes bronchogéniques.
Intoxication au 210Po
On a ainsi pu estimer qu’une personne fumant 1,5 paquets par jour, absorbait une dose de radiation d’environ 80 mSv par an en raison de la présence de 210Po dans la fumée de cigarette [2]. Ceci correspond à l’équivalent de 300 radiographies de la cage thoracique. Dans un premier temps, on suspecta que ce 210Po provenait de l’utilisation massive d’engrais phosphatés. Car les engrais phosphatés contiennent de manière parfaitement naturelle de l’uranium. Or, le polonium est l’un des noyaux fils de la chaîne de désintégration radioactive de cet élément.
Les études montrèrent en fait que le 210Po se déposait sur les feuilles de tabac qui sont larges et collantes à partir de l’air. On sait depuis longtemps que le sol contient naturellement du 226Ra. Cet isotope est lui aussi noyau fils de la chaîne de désintégration radioactive du noyau 238U. Il est à l’origine d’une accumulation de radon sous forme de 222Rn et de ses descendants radioactifs dans l’air des bâtiments et des caves souterraines:
Intoxication au 222Rn
Or si le radon est un gaz, ses descendants radioactifs sont des solides porteurs d’une charge électrique de surface. Ceci favorise leur dépôt sur toute surface comme celle présente sur les feuilles de tabac qui sont couvertes de trichromes gluants. Les trichromes qui sont de fines excroissances (poils) ou appendices portés par les plantes. Ils permettent à la plante de se défendre contre les attaques des insectes. Soit par encombrement spatial, soit par engluement, soit par émission de composés toxiques.
Les trichromes glandulaires du tabac peuvent ainsi produire de la nornicotine, produit 1000 fois plus toxique que la nicotine elle-même qui est déjà un excellent insecticide. Cependant, ces trichromes peuvent aussi servir à se débarrasser des sels de métaux lourds toxiques et non volatils. Les trichromes du tabac sont en fait des structures très efficace pour concentrer des métaux comme le cadmium ou le polonium.
Mortelle cigarette
Lorsqu’un fumeur allume une cigarette, le 210Po présent dans les feuilles séchées se volatilise. Il passe ainsi dans les poumons du fumeur. Enfin, pas tout à fait. Car les études ont montré que 75% de la radioactivité disponible n’était pas absorbée par le fumeur. Elle était plutôt relâchée dans la fumée exhalée pour le plus grand malheur des non-fumeurs exposés à cette fumée. Ce phénomène et particulièrement préoccupant dès que l’on fume en milieu confiné (chambre, voiture, bar, etc…). Les fabricants de cigarettes sont bien évidemment parfaitement au courant de ce problème. Toutefois, ils minimisent le phénomène en expliquant que la dose de radiation émise est distribuée sur tout l’épithélium bronchique. C’est ce qui rendrait, selon eux, les doses absorbées peu nocives.
Or, les études ont montré que le libre parcours moyen du rayonnement alpha émis par le noyau 210Po était de 40 µm dans le corps humain. Comme le noyau d’une cellule contenant l’ADN a une taille comprise entre 5 et 6 µm, il en découle qu’une seule particule alpha traversant un noyau apporte localement une dose de 10 Sv, hautement mutagène ! On a fait des mesures précises de la concentration en 210Po dans les poumons des personnes ayant inhalé de la fumée de cigarette. Ces études ont montré que la dose annuelle délivrée au niveau des “points chauds” était de 160 mSv. Ceci correspond à 67 fois la dose naturelle d’exposition aux rayonnements ionisants (2,4 mSv par an).
Des fumeurs égoïstes
Les personnes mal à l’aise avec les unités de radioactivité pourront se référer à cette page. Reposons maintenant le problème du lien de cause à effet entre tabagisme et cancer du poumon. Nous pouvons mieux comprendre comment des non-fumeurs peuvent développer ce type de cancer sans jamais avoir fumé une seule cigarette de leur vie. Le responsable ici est très probablement le 210Po recraché à 75% par tous les fumeurs en milieu clos et non aéré. Ces fumeurs font donc preuve d’un égoïsme sans bornes lorsqu’ils estiment être légitimement en droit de fumer au nom de la liberté individuelle.
La loi interdisant de fumer dans les lieux publics est donc dans ce cadre une loi parfaitement justifiée. Elle découle de l’application du simple bon sens et de la nécessité de ne pas nuire à autrui. Quid des gros fumeurs qui ont la chance de ne pas développer le cancer du poumon ? Il semble clair que deux facteurs doivent se conjuguer pour bénéficier d’une telle protection. Premièrement, le fumeur peut être dans l’incapacité à transformer le benzo[a]pyrène en BPDE qui est le véritable agent mutagène et carcinogène.
Deuxièmement, ils peuvent fumer un tabac ayant été très peu exposé au radon atmosphérique. C’est-à-dire ayant poussé dans des sols pauvres en uranium. On peut donc très bien fumer comme un pompier et échapper à ce terrible fléau qu’est le cancer du poumon.
Pourquoi ne pas arrêter de fumer ?
Il faut bien avoir conscience que cette santé insolente se fait au détriment de ses proches non fumeurs. De plus, le niveau d’exposition de notre planète aux métaux lourds augmente d’année en année. Il sera donc de plus en plus difficile de trouver un tabac non pollué. Dans ces conditions, pourquoi ne pas arrêter tout de suite pour le plus grand bonheur de ses proches et moins proches ? Il y aura aussi la satisfaction d’être arrivé, au moins une fois dans sa vie, à maîtriser son égocentrisme.
Références
[1] M.F. Denissenko, A. Pao, Moon-Shong Tang & G.P. Pfeifer, “Preferential Formation of Benzo[a]pyrene Adducts at Lung Cancer Mutational Hotspots in P53”, Science, 274 (1996) 430-432.
[2] T.H. Winter & J.R. Franza, “Radioactivity in cigarette smoke”, New. Engl. J. Med., 306 (1982) 364-365.
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