Épisode 32 Covid-19, juin 2020
Dilemme répétitif
Dans la précédente chronique, j’ai posé le problème du dilemme répétitif. Car ce problème est bien sûr sous-jacent à la crise du COVID-19, mais aussi à bien d’autres crises. Pour résumer, ce qui a été précédemment dit, voici comment détecter si l’on est à risque de tomber dans une situation de dilemme :
A) Relation intense
Avoir une relation particulièrement intense avec un ou plusieurs partenaires. Car, dans ce cas, toute tentative de communication verbale ou non-verbale est perçue comme vitale par la victime potentielle.
B) Double jeu
Avoir un des partenaires qui joue double jeu. Généralement des paroles bienveillantes, mais néanmoins menaçantes démenties par des gestes corporels ou des intonations de voix qui sonnent faux.
C) Non-communication
Être dans l’incapacité physique ou morale de pouvoir commenter les messages ambigus émis par le ou les partenaires. Car, à partir du moment où l’on refuse tout méta-communication à la victime choisie, cette dernière peut, à tout moment, sombrer dans la folie schizophrène paranoïaque. Elle peut aussi s’exprimer avec rage et violence (y compris meurtrière). Une autre forme de réaction au dilemme répétitif peut être le repli sur soi. La victime fait tout ce qui est dans son pouvoir pour ne pas provoquer de réponses de la part de son entourage. Elle peut alors devenir hébéphrénique en s’appauvrissant sur le plan intellectuel et relationnel et finalement devenir catatonique.
Des solutions
Comment lutter contre les effets dévastateurs du dilemme répétitif ? Pour résumer, l’enfant réagit par le jeu, l’adulte par l’humour, le religieux par le rituel, le littéraire par la poésie et le scientifique par la fiction.
Le jeu
Le jeu est le moyen par lequel on affirme une chose tout en la niant. Ainsi la poignée de main est en fait un geste agressif, mais qui ne va pas jusqu’à son terme logique. On agresse sans agresser. Car, au fond, il est rigoureusement impossible de ne pas agresser. Donc on joue, ce qui exprime très clairement la négation sous la forme d’une affirmation.
Les rêves mettent en jeu le même mécanisme d’affirmation négative. C’est ce qui les rend si fascinants et si durs à comprendre. C’est aussi pour cela qu’ils sont libérateurs. Car, lorsqu’on rêve on peut tout faire, y compris violenter voire tuer. Comme cela n’aura aucune conséquence dans le monde “réel”, on se soulage sans aucun risque. Il ne faut donc jamais culpabiliser à propos de ce qui se passe dans les rêves. Même s’ils apparaissent à l’éveil, vraiment odieux ou totalement dévoyés. Les rêves sont là pour réparer les multiples traumatismes et agressions que nous subissons lorsque nous sommes réveillés. En particulier ceux provoqués par la situation de dilemme répétitif. Le jeu est l’arme favorite des enfants.
L’humour
Rire et se moquer de ses bourreaux est un antidote extrêmement efficace. Face à des bourreaux qui pratiquent le dilemme répétitif de manière inconsciente, on leur échappe en commentant leurs paroles avec humour. À un nouveau d’abstraction supérieur bien sûr. D’où la nécessité de savoir bien manier les métaphores et autres allégories. L’humour désarme toujours les personnes les plus agressives. Évidemment, si le bourreau a bâti son dilemme répétitif en toute conscience pour détruire sa victime, il va falloir jouer serré. Hélas, pour manier l’humour, il faut être un adulte et ne pas avoir succombé à la violence.
Le rituel
Le rituel est la forme de réponse que l’on doit adopter dès que le partenaire qui pose la situation de dilemme ne veut pas jouer, ou bien prend tout au premier degré. Il s’agit là d’une sorte d’exorcisme sans aucune limite de sophistication. L’avantage est qu’il peut se pratiquer seul, contrairement au jeu. Toutefois, dans ce cas, il faut faire très attention à ce qu’il ne devienne pas compulsif ou obsessionnel. C’est généralement la bonne réponse à la violence enfantine ou adolescente. Plus la situation de dilemme est ancienne, plus le rituel doit être complexe et sophistiqué. Ainsi, les différents rituels religieux ont été développés pour lutter contre les traumatismes liés à l’apprentissage d’une vie en société. Les exorcismes sont les rituels les plus aboutis de ce besoin d’échapper à un dilemme.
La poésie
Le recours à la poésie est la forme que choisira une personne littéraire afin d’échapper au stress imposé par une situation de dilemme répétitif. Car jouer peut alors sembler futile. De même certaines victimes n’ont pas le sens de l’humour très développé. Quant au rituel, il faut être à l’aise avec son corps et ne pas être coincé dans ses gestes. Car tout rituel est corporel ou n’est pas. D’où le fait de prendre la plume pour exprimer ce que l’on ressent de manière très profonde, tout en le cachant soigneusement.
Seuls ceux qui ont vécu une expérience similaire à celle du poète peuvent vraiment comprendre ce qu’il a écrit sur le papier. Les autres n’y verront qu’un infâme charabia ou bien simple un exercice de style. Le poète veut montrer qu’il n’est pas comme les autres et pour cela il doit être à la fois clair (les mots) et obscur (leur agencement).
La fiction
La personne plutôt versée dans les matières scientifiques, se réfugiera pour sa part dans la fiction. Elle inventera ainsi des super-héros dotés de gadgets technologiques délirants. L’idée est ici de transposer le dilemme sur des personnages imaginaires où la victime est dotée de toutes les qualités. Le ou les bourreaux sont bien sûr pour leur part affligés de tous les défauts et de toutes les tares. De la fiction à la mythologie, il n’y a bien sûr qu’un pas. Alors que la fiction est personnelle à une victime, la mythologie, elle, s’adresse à toutes les victimes réelles ou potentielles.
La famille
Certains ont la chance de pouvoir utiliser tous les registres de manière indifférente. D’autres deviendront des virtuoses, en se spécialisant dans un seul registre. Quoi qu’il en soit, en grattant un peu on trouvera toujours un dilemme répétitif à la source.
La famille est bien sûr le lieu de prédilection où fleurissent moult situations de dilemme répétitifs. Car une famille démarre dès qu’il y a deux personnes (critère n°1). Elle forme une structure où les situations répétitives sont légions (critère n°2). Il faut devenir très vigilant dès qu’il y a trois personnes présentes. Les victimes toutes désignées sont alors les enfants, les parents faisant office de bourreaux. Ici, le deuxième parent peut nier à un niveau d’abstraction supérieur l’injonction du premier (critère n°4). Ce dédoublement physique potentiel du bourreau ne peut qu’amplifier les dégâts. Il est en effet impossible à un enfant de nier qu’il n’est pas l’enfant de ses parents naturels légitimes (critère n°5).
La triplette (enfant, parent aimant qui menace de punir, autre parent qui contredit le premier de manière non verbale) est le prototype même du dilemme répétitif. S’il n’y a qu’un parent, il suffira que la menace de punition soit prononcée sur un ton doux et aimant pour que la situation de dilemme se mette en place. Enfin, lorsque l’enfant a fini par apprendre à percevoir son univers de la sorte, il peut devenir son propre bourreau. C’est la raison pour laquelle les enfants jouent autant. Cette activité est vitale pour eux. De fait, un enfant est incapable de répondre au stress parental par l’humour ou la poésie. S’ils ne peuvent mettre en place eux-mêmes le rituel, les parents, eux, peuvent le faire. Ils peuvent le faire de manière consciente (l’idéal) ou inconsciente (par défaut).
L’apéro
De fait, je ne connais pas une famille où il n’y ait pas de rituel. Un rituel bien connu et apprécié de tous est bien sûr l’apéro. Surtout s’il est alcoolisé, car alors un seul verre suffit à délier les langues. Si l’apéro n’est pas alcoolisé, on pourra obtenir le même effet via ce qui est grignoté tout en buvant. Car il ne faut pas croire qu’il n’y a que l’alcool pour faire tourner les têtes. Le sucre est une drogue au moins aussi addictive que l’alcool. Si on l’associe à du gras et du sel, cela peut même devenir pathologique. Essayez donc un peu de résister à un paquet de chips, à des tranches de saucisson ou un fromage bien affiné.
Car, il existe ce que l’on appelle les peptides opioïdes dérivés du gluten (céréales), de la caséine (fromages, charcuteries) et du soja. Ces opioïdes se retrouvent aussi dans les produits de dégradation de la protéine Rubisco, l’une des enzymes foliaires les plus abondantes de la biosphère. Enfin, la dégradation du cytochrome b, protéine que l’on retrouve dans toutes les viandes, poissons ou légumes contient aussi des séquences opioïdes. Bref, le fait d’être euphorique après un apéro alcoolisé ou non n’a rien de bien surprenant. De même, on peut être aussi bien accro aux chips qu’aux légumes. Le fait de boire et de manger est donc un moyen inconscient de lutter contre tout type de stress. Y compris celui provoqué par le dilemme répétitif.
Le couple
Pour les couples sans enfants, c’est très souvent la femme qui endosse le rôle de victime dans une relation à dilemme répétitif. Ceci est vrai dans toutes les sociétés basées sur le patriarcat. La femme étant adulte a, contrairement à l’enfant, accès à tous les registres de défense. Dans un couple, le terrain de jeu prend nécessairement une connotation libidineuse, via les modalités de traitements des zones érogènes.
On peut en effet jouer avec son partenaire par intrusion, inclusion, exclusion, réception ou rétention. Comme il s’agit d’une relation complémentaire et non symétrique la relation peut évoluer vers la solitude et l’isolement. Elle peut aussi évoluer vers la rage ou la violence. Tout va dépendre de l’histoire de chacun. Il peut aussi y avoir fuite dans l’alcoolisme ou la boulimie, dès que la bouteille ou la nourriture remplace l’autre. On évite d’en arriver à de telles extrémités, en détectant le plus tôt possible que l’on se trouve en situation de dilemme répétitif.
Le divorce
Aujourd’hui, la mode est au divorce. Cela règle le problème de manière temporaire, mais gare aux rechutes possibles avec un nouveau partenaire! Il fut aussi une époque où divorcer était très difficile voire carrément impossible. La seule solution était alors de cohabiter avec recours massif aux rituels. Tout d’abord avec les enfants lorsqu’ils étaient jeunes. Puis, une fois les enfants partis ailleurs, les rituels se reportaient sur le conjoint.
Avec des rituels bien adaptés et respectés de part et d’autre, on pouvait « s’aimer » jusqu’à la mort. Cette vie était souvent sans humour, sans poésie, sans fantaisie et sans conflits majeurs. Un rituel particulièrement bien ancré de l’époque était ménage et cuisine pour la femme, travail et bricolage pour l’homme. Chacun y trouvait une certaine forme de sécurité, surtout dans la vieillesse. L’ambiance était plutôt du style « Je t’aime, moi non plus » mais sans violence ni crise de rage.
Arthur et Vitalie Rimbaud
Pour le refuge dans la poésie, il m’est impossible de ne pas me référer à la relation entre le poète Arthur Rimbaud et sa mère Vitalie (critère n°1). Arthur l’appelle la “mère Rimbe”, “la daromphe” (du féminin de daron: le maître, en argot) ou la “bouche d’ombre” en souvenir du poème homonyme de Victor Hugo. Cette femme au fort caractère aimait de toute son âme son fils (critère n°4), mais était en même temps intraitable, allant même jusqu’à le gifler s’il ne marchait pas droit (critère n°3). Les allers et retours incessants entre la ferme de sa mère et les autres pays d’Europe ou d’Afrique, illustrent le critère n°2.
Enfin, le fait que quelle que soit la situation, sordide ou heureuse, sa mère ne lâche jamais prise (critère n°5). Cela signe le diagnostic et le refuge dans la poésie du jeune Arthur. Le caractère de cette femme se révèle dans une lettre du 6 juillet 1873 adressée à Paul Verlaine, l’amant d’Arthur, lorsque Verlaine parle de se suicider. Car le couple Verlaine/Rimbaud est un autre cas d’école de dilemme répétitif. Vitalie écrit donc à Verlaine : « Vous voyez que je ne vous flatte pas : je ne flatte jamais ceux que j’aime […]. Et moi aussi, j’ai été bien malheureuse, j’ai bien souffert, bien pleuré […] ma plaie à moi me paraissait beaucoup plus profonde que celle des autres, et c’est tout naturel, je sentais mon mal et je ne sentais pas celui des autres ».
Star Wars
Enfin, le cas du réalisateur américain George Lucas illustre à merveille le refuge dans la fiction. J’avais 19 ans lorsque l’épisode IV, sorti il est. Dans la saga Star Wars, on retrouve l’humour sardonique d’un Hans Solo. Il y a aussi « l’amour-haine » entre Luke et Anakin avec son fameux « Je suis ton père ! ». Car, Anakin est voué à devenir « Darth Vader », une allusion à peine marquée au « Dark Father ». La saga est bourrée de rituels exorcistes, le premier d’entre tous était le culte autour de la « Force ».
Les anastrophes
La poésie n’est pas absente avec les anastrophes troublantes de Maître Yoda. Le nom anastrophe vient d’un mot grec signifiant « retournement ». Les anastrophes sont des figures de style qui inversent, dans une phrase, l’ordre habituel des mots. Le but est d’attirer l’attention sur une expression particulière. De fait, l’anastrophe est fréquente en poésie, car elle permet de créer des rimes et de donner du rythme. Ainsi quand Yoda dit : « Ton père, il est », il veut insister très lourdement sur le mot « père ». Qui n’a pas été marqué dans sa jeunesse par les anastrophes de Molière. Ainsi, en 1670, Molière s’en amusait dans Le Bourgeois gentilhomme : « D’amour mourir me font, belle marquise, vos beaux yeux ».
Le père
Enfin, pour ce qui est de la fiction, les 9 films baignent tous dans un univers où la technologie futuriste règne en maître. Il n’est donc pas difficile d’imaginer les immenses traumatismes infligés au jeune George par son père George Walton Lucas Sr. Ce luthérien est à la tête d’une grande papeterie et il espère que son fils reprendra l’affaire familiale. Toutefois, son fils George Lucas Jr est un gringalet court sur pattes et particulièrement chétif.
Junior est souvent victime de diverses brimades à l’école. C’est sa petite sœur, Wendy, qui vient donc à la rescousse de son grand frère pour le protéger. Ses résultats scolaires qui sont exécrables alimentent de nombreux conflits avec son Darth Vader de père. Il faudra donc à junior pas moins de 6 films (épisodes I à VI) pour exorciser en partie sa jeunesse en utilisant tous les registres possibles et imaginables.
Le COVID-19
Les conséquences du confinement liées à l’épidémie de COVID-19 vont se déployer dans les mois qui viennent. Terribles, elles seront (pour certains). D’autres y puiseront au contraire une inspiration pour produire leur chef-d’œuvre. Celui de toute vie. Toutefois, le côté obscur de la Force, redouter tu dois. À vos intuitions vous fier, il faut. Arthur Rimbaud et George Lucas nous ont montrés des issues. À chacun de nous de trouver maintenant sa propre voie dans un contexte qui s’annonce très trouble.
Par Marc HENRY
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