Physique

Physique

Matérialisme

Quel intérêt peut-il y avoir à faire de la physique ? D’une part, cette science se trouve face à un matérialisme qui conduit à localiser la matière dans un espace précis. En d’autres termes, le matérialisme tend à limiter la matière en lui refusant les qualités à distances. Elle lui interdit d’agir là où elle ne se trouve pas. Or, si la matière est uniquement étendue, elle est alors faite de solides. Et, elle a des propriétés strictement locales, définies par une forme ou solidaires d’une forme. Comment corriger cette localisation très abstraite, toute géométrique, de la matière ? Pour cela, le matérialisme se complète d’une physique basée sur des mouvements corpusculaires aléatoires. Leur rôle se borne donc à porter ailleurs les propriétés de la matière.

La conséquence de cette localisation de la matière dans l’espace est une division abusive entre propriétés géométriques et propriétés temporelles. Or, on ne doit pas séparer le problème de la structure de la matière et celui de son comportement temporel. Car, l’on sent bien que l’énigme de la vie réside à l’intersection des propriétés spatiales et temporelles. Dans le matérialisme, on cherche à enraciner la nature d’une substance dans une matière placide, indifférente à la durée.

Physique énergétique

D’autre part, il existe aussi une physique dite « énergétique », voire quantique. Ici, l’on considère avant tout la matière comme un transformateur d’énergie, comme une source d’énergie. Ceci conduit inévitablement à se demander comment l’énergie peut recevoir les différents caractères de la matière. En physique moderne, c’est la notion d’action et non d’énergie qui forme le trait d’union le plus fructueux entre la chose et le mouvement. C’est par l’intermédiaire de l’action que l’on mesure l’efficacité d’une chose en mouvement. C’est par cet intermédiaire que l’on peut voir comment un mouvement devient une chose.

En effet, en physique classique, on s’intéressait déjà aux transformations de l’action. On la définissait comme le produit d’une énergie par une durée. Mais, il s’agissait toujours de faire des bilans. Ceci entraînait la croyance aux transformations continues dans un temps sans structure, Au sens où la continuité d’un compte en banque empêche de comprendre le caractère discontinu du troc. C’est ainsi que, au cours du temps, les énergies cinétiques devenaient potentielles. De même, les diverses formes d’énergie calorifiques, lumineuses, chimiques, électriques, mécaniques se transformaient directement l’une dans l’autre via des coefficients de conversion.

Matière et énergie

Dans ce cadre, la matière se bornait à assurer le lieu où se produisaient les échanges continus d’énergie. Certains allaient même jusqu’à nier l’existence de la matière. C’était le temps, où un Ostwald prétendait que le bâton qui vous frappe n’existe pas. Car, seule existe son énergie cinétique… Le réalisme énergétique côtoyait ainsi le réalisme matériel sous la forme de deux doctrines de philosophie générale vidant de leur sens les notions d’espace et de temps. Ce double déficit de structure qui touche aussi bien la matière que l’énergie masque un caractère essentiel de l’action qui est son caractère temporel.

Car, l’on ne peut approfondir la notion d’action qu’en accroissant notre expérience des phénomènes de la durée. On peut se borner à dire que la matière peut absorber ou émettre de l’énergie. Mais, cette énergie devient alors latente, potentielle, fictive. Comme une somme d’argent subtilisée aux guichets des banques. L’énergie n’a alors de sens réel que lors d’un déploiement temporel. Il nous faut donc essayer de comprendre les liens profonds entre espace, temps et matière. Ceux-ci s’expriment soit comme rayonnement pur dépourvu de masse. Ou bien alors comme une énergie massive. C’est ainsi que l’on peut atteindre une véritable connaissance de la nature.

Physique quantique

Pour cela, dépassons le cadre étroit de l’atomisme et du molécularisme corpusculaire. Autrement dit, renonçons aux sirènes de la physique classique. Sans tomber pour autant dans l’énergétisme béat où l’on en vient à nier l’importance de la matière. L’atomisme est basé sur un argument antique selon lequel on ne peut pas « imaginer de mouvement sans quelque chose qui se meut ». A cet argument la physique quantique répond par la réciproque. « On ne peut pas imaginer une chose sans poser quelques interactions impliquant cette chose ». Autrement dit, la réalité physique se trouve dans les interactions entre les choses et non dans les choses, elles-mêmes.

Par exemple, on ne peut pas détacher le photon de son rayon lumineux. Un mécaniciste aimerait sans doute à le faire, habitué à manier des objets sans cesse disponibles. Mais, le photon, est le quantum du champ électromagnétique. Il est de toute évidence en même temps, une chose bien réelle et un mouvement pur. En physique quantique, certaines notions deviennent fondamentales. Ainsi, il y a la quantité de mouvement qui est le produit d’une masse par une vitesse de déplacement. Il y a aussi le moment cinétique angulaire qui correspond à une aire balayée par une masse par unité de temps. Enfin, il y a encore l’énergie qui s’identifie au produit d’une force par un déplacement ou au produit d’une masse par le carré d’une vitesse.

Moments spatiaux et temporels

Ces trois concepts fondamentaux vont se voir réincorporés à la matière. Et, ce, sous une forme insécable topologique qui ne peut pas être ramenée à des simples combinaisons métriques de masse, de vitesse ou de position. C’est cette intégration dans une sorte d’échange structural perpétuel qui fait que l’atome va faire exploser toutes les analyses mécaniques qui se concentrent sur lui. Mais, c’est ce qui va aussi donner une structure à toute l’énergie qu’il peut émettre. Il ne s’agit donc plus de dire que la matière est une substance apte à acquérir de la quantité de mouvement p, du moment cinétique angulaire L ou de l’énergie E.

Mais, il faut dire que la matière s’exprime selon une trinité (p, L, E) en raison d’un espace-temps possédant quatre dimensions. Trois dimensions sont de nature spatiale. Elles concernent la position (p) et l’orientation (L) dans une direction donnée. Quant à la dernière dimension, elle concerne une position temporelle (E). Par réciprocité, toute quantité de mouvement, moment cinétique angulaire ou énergie devient de la matière. 

“Être” et non “avoir”

Bref, la physique quantique substitue au verbe avoir, le verbe être. Une telle substitution n’est pas anodine du tout. Car, cela revient à remplacer la description par l’équation, la qualité par la quantité. Dans cette révolution, la qualité va se retrouver avec son flou, au niveau des phénomènes topologiques. Ceci nécessite donc de bien connaître les propriétés des ensembles. C’est parce qu’un atome reçoit ou abandonne de l’énergie qu’il change de forme. Et, ce n’est pas parce qu’il change de forme qu’il perd ou gagne de l’énergie. Le prix à payer pour cette unification matière-espace-temps est l’abandon du déterminisme. Par voie de conséquence le recours à la probabilité comme notion initiale.

La physique quantique rend donc le matérialisme incertain et flou. Elle s’attache dans le même mouvement à éliminer aussi l’espace-temps lui-même. Ceci pour atteindre la structure abstraite des groupes. La matière se présente donc à l’intuition naïve dans son aspect localisé, comme dessinée, comme enfermée dans un volume bien limité. La trinité (p, L, E) reste pour sa part sans figures. Car, on ne lui donne une configuration qu’indirectement. On la rattache ainsi à des nombres sans dimension variant de manière continue ou discrète selon les conditions que la matière se trouve confinée ou non.

L’énergie peut d’ailleurs sous forme potentielle, occuper un volume sans limites précise. Elle peut s’actualiser en des points particuliers. Par son développement dynamique et énergétique, l’atome est donc autant mouvement que chose. Il devient alors possible d’assister à la création de la matière à partir du rayonnement, de la chose à partir du mouvement. La physique quantique nous engage donc à donner l’être aussi bien au mouvement pur qu’à la matière fixe.

Référence

G. Bachelard, «Le nouvel esprit scientifique», Presses Universitaires de France, Paris (1934).

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